On m’a appris toute jeune à trouver moi-même des façons de combler mes besoins. Mais personne n’a pensé à m’expliquer que besoin et désir étaient différents. Alors que je ne trouvais pas le sein de ma mère, j’ai appris à mettre mon pouce, parfois même mon orteil dans ma bouche pour tenter de faire taire mon manque criant de réconfort. J’ai appris aussi qu’en pleurant, quelqu’un arrivait et prenait soin de moi, me donnant l’amour que je réclamais si fort.
Plus tard, en grandissant, j’ai continué ainsi. Parfois j’arrivais à satisfaire mes appétences, parfois je devais aller chercher l’aide pour y arriver. Mais j’ai compris très tôt que la vie fonctionne ainsi; nous avons des besoins, nous devons les assouvir. Et qu’en grandissant, ils deviennent plus complexes et se multiplient. Mon adolescence n’a pas fait exception, ni mon entrée dans le monde des grands. À petits besoins, petites solutions, à grands besoins, grands résultats.
Vint un matin où, au lever du lit, je réalisai que j’avais tout ce qu’il fallait pour pouvoir penser avoir réussi ma vie, puisque j’avais tout ce que je pensais vouloir. Qu’il ne manquait rien à mon prétendu bonheur (le bonheur est relatif à chacun), mais le mien était complet. J’avais un amoureux aimant, des enfants charmants et en bonne santé, de bons amis, une famille présente, je m’épanouissais par l’écriture, l’argent ne manquait pas, je voyageais, suivais les cours qui m’intéressaient. J’étais choyée…
C’est à ce moment qu’est arrivé un tsunami dans mon cœur et dans ma tête. Que me restait-il à faire, à accomplir, si à 25 ans tous mes besoins étaient comblés? J’avais été conditionnée dès la naissance à vivre pour combler mes besoins…
J’ai alors commencé à en inventer. J’avais besoin d’une maison qui me ressemblait davantage, besoin d’un amoureux plus affectueux avec qui j’aurais une sexualité débridée, besoin d’avoir encore plus d’enfants, de me sentir libre, de remplir ma maison d’amis, de faire publier mon roman. Je me suis mise à m’inventer des exigences à n’en plus finir. Ne m’avait-on pas conditionnée de cette façon dès le départ?
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S’en suivit la cacophonie… J’ai tout foutu en l’air. Au diable ma vie parfaite, j’avais besoin de défi, de me sentir vivante. J’ai vendu ma maison et j’ai envoyé balader l’amoureux. Nous avons partagé la garde de nos enfants, j’ai rempli ma nouvelle demeure d’amis les moments où j’étais seule, j’ai appris une nouvelle langue, et suis tombée enceinte de mon professeur avec qui les atomes crochus étaient égaux à une collision d’étoiles filantes.
J’ai tout envoyé balader parce que j’avais comblé des besoins qui n’étaient pas miens. Tout… En aucun moment, je n’ai eu peur d’échouer, de manquer de tout ou de rien, de me sentir jugé, voire même condamné par ceux que j’estimais. Certains pensent encore qu’on ne peut être heureux qu’en étant amoureux ou riches; à ceux-ci je dis que cette quête incessante est vaine et épuisante. Illusoire et insatisfaisante…
Parce qu’au fond, bien des années plus tard, je réalise que si autant de gens sont malheureux c’est qu’ils n’ont de cesse de s’inventer des besoins, et tendent à les combler. Trop de gens encore répondent à leurs besoins sans tenir compte de leurs rêves.
J’ose maintenant ma vie, j’essaie, je me hasarde, me risque en allumant des feux grandioses à l’intérieur de mon cœur. Je n’ai plus peur, parce c’est la peur qui paralyse… Devant moi maintenant, il n’y a qu’un grand vide attrayant.
Je ne suis assurément pas une mère « typique » qui rêve que ses enfants comblent leurs besoins dans la vie. Je veux simplement qu’ils aillent au bout de leurs rêves, qu’ils croient en eux, qu’ils soient convaincus que rien n’est impossible. Mes enfants ont grandi en ayant comme « modus operandi » cette citation de Eleanor Roosevelt: « You must do the thing you think you cannot do ». J’espère de tout cœur que leur absence de peur sera éternelle…