Moi qui me croyais au-dessus de mes affaires, qui pensait que l’âge n’avait pas d’incidence sur moi, j’ai été profondément troublée les semaines précédant mon quarantième anniversaire. J’ai réalisé d’un coup que j’arrivais à la moitié de ma vie. Ou du moins, à mi-chemin d'une existence dont je pouvais profiter sans être vieille. Trop vieille… J'ai été frappée de plein fouet par ma crise de la quarantaine.

Parce que l’âge, c’est dans la tête. Du moins pour moi. On arrive dans une enveloppe et l’on repart en la laissant inerte. On ne choisit pas sa couleur, sa taille, son sexe ou de vieillir. Ce serait trop facile, on arrêterait tous le sablier alors qu’on se sait sur son X. Le temps se figerait, parfait… 

Sablier temps qui passe

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Je n’ai jamais eu peur de vieillir, ni même de mourir. Je pense que la sagesse et la paix d’esprit qu’on acquiert avec les années justifient le chiffonnage du corps. La puissance de ma crise de la quarantaine m’a donc grandement surprise. Tout comme elle a surpris les gens qui m’entourent. Les grands bouleversements du temps, les premières fois, les dernières fois ne m’ont jamais émue.  Je n’ai jamais fait les choses comme tout le monde, je ne cadre pas dans le modèle normatif de femme, pourquoi alors étais-je, comme plusieurs autres, traumatisée par ce changement de dizaine ?

Je me suis donc préparée, les semaines précédant mon quarantième anniversaire, comme je me serais préparée pour un marathon. J’ai sorti calepins et crayons et me suis mise à faire des listes. De ce que j’avais accompli, de mon quotidien, de ce que je désirais réaliser au cours de la seconde partie de ma vie. 

Et bam ! La réalité m’a frappée brutalement. Je n’avais rien accompli de grandiose. Rien de notable, tout court. Je n’avais rien gravé, je n’avais qu’été. Je ne laisserais rien au moment de partir, autre qu’un rien. Un grand vide sidéral. J’arrivais à quarante ans, sans aucune réalisation majestueuse, rien de démentiel ne me démarquait de la masse.

Femme regarde le paysage de dos

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J’ai commencé à faire part aux miens ma tristesse de ne pas avoir laissé ma marque, et tous me répondaient que j’avais mis six enfants au monde et donc, que j’avais réussi. Mais non ! Ils ne comprenaient pas, je ne pouvais croire avoir réussi ma vie par l’entremise de mes enfants. Eux-mêmes réussiraient la leur, et ce, seulement grâce à eux. On ne peut baser nos réussites sur la fabrication d’autres humains… Et puis, les enfants ne nous appartiennent pas, ils nous sont prêtés. Alors le jour où ils quitteraient tous la maison, mon épanouissement se ferait à nouveau la malle.

Mon malheur était si réel qu’il m’arrivait de me coucher en boule, tétanisée par la peur. Je ne voulais pas de ma vie qui s’en allait droit vers le néant et qui n’était en rien impressionnante.

Gonflée à bloc du désir de devenir une humaine extraordinaire pour le reste de ma vie, j’ai cherché comment devenir quelqu’un d’autre. J'ai bricolé une affiche avec mes buts, mes destinations, mes idéaux, mes rêves. La première journée de ma quarante et unième année serait à l’image de la nouvelle moi.

Femme chambre triste

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Mais ça ne s’est pas passé comme je l’avais imaginé. Je me suis réveillée et j’étais la même. Je n’avais pas envie de m’entraîner pour un triathlon, alors que sur l’affiche j’avais collé en gros l'image du trio vélo/nage/course. Je ne parle toujours pas italien, je ne suis pas encore partie faire le tour de l’Asie en sac à dos. Je n’ai absolument rien fait de ce que je pensais vouloir faire de moi. J’ai eu si peur d’avoir gaspillé la première moitié de ma vie, pour finalement réaliser que ma vie était à mon image.

J’ai donc continué à être une maman de six enfants, qui écrit par passion des mots, qui voyage quand elle peut, qui bouquine, qui médite, qui donne de son temps dans l’espoir d’un monde où il y a moins de souffrance. J’ai aussi arrêté de me dire que je ne fais pas le poids. Parce que j’ai eu si peur d’entamer la deuxième moitié de ma vie que j’en suis venue à vouloir me fuir moi-même. Mais surtout, parce qu’après avoir glané les statistiques, j’ai appris que la Nord-Américaine typique vit en moyenne jusqu’à 84 ans, ce qui me laisse deux années de plus pour accueillir la dernière moitié de ma vie.

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