« Oh, tu es venue! » Elle était assise sur le bord de son lit, dans son pyjama et son chandail en petite laine rose. Évidemment que j’étais là, comment j’aurais pu ne pas venir? On s’est fait un gros câlin et donné un gros bec. Mais que se passait-il? L’ambiance dans la chambre était bizarre, vide.

L’infirmière a demandé à me voir.

« Ta mère a demandé d’arrêter tous ses traitements et souhaite ne recevoir que les soins de confort de fin de vie. Je crois que ta mère a besoin que tu la rassures et que tu lui dises que c’est correct pour elle de partir. Elle a besoin de savoir que tu vas bien aller. » Je ne m’attendais pas à ça, je savais que ça arriverait, mais pas comme ça, pas là, pas maintenant. 

J’ai eu beau essayer de me retenir, mais les larmes coulaient toutes seules, j’étais assise près d’elle et elle m’a dit: « Pauvre petite, tu n’as jamais vu personne mourir. » Comment je pouvais la rassurer, quand moi-même je m’écroulais? « Mom, t’inquiète pas pour Sophie, ta petite fille et moi, on va bien, on a une bonne vie, ça va bien aller pour nous. Tu peux partir tranquille. » On s’est dit qu’on s’aimait, on s’est serrés dans nos bras et ça a été ses derniers gestes de tendresses envers moi. Elle est partie le lendemain soir.

« Dire: " Tu peux partir tranquille " a probablement été une des phrases les plus difficiles que j’aie eu à dire dans ma vie. »

Il est extrêmement pénible de dire ça à une personne qu’on aime : Qu’elle peut partir, alors que l’on voudrait tellement la garder encore un peu avec nous.

Même en contexte de longue maladie. On peut se raisonner et se dire que la mort est sûrement ce qu’il y a de mieux pour cette personne, plutôt que de souffrir. Ce type de réflexion est purement cérébral. Le chagrin quant à lui ne se raisonne pas lorsqu’il est sincère. Il n’y a rien de digne ou de beau dans la mort, la fin laisse souvent ceux qui restent dans un état de confusion émotionnel. La mort arrive souvent trop tôt pour les gens que l’on chérit, on voudrait reporter ce moment le plus loin possible, peut-être même à jamais si on pouvait. 

Même si je savais qu’il ne subsistait que peu de temps à vivre à ma mère, je n’avais pas envisagé comment son absence aurait un impact sur ma vie. Imaginer la vie sans ceux qu’on aime est douloureux et le devient encore plus lorsque l’on sait que la fin est imminente. J’étais loin de m’imaginer que je ne reparlerais plus à ma mère, que le « je t’aime » serait le tout dernier. J’espérais qu’un petit regain d’énergie lui permettrait de me parler encore un peu. J’ai quand même eu le privilège de pouvoir échanger quelques mots avec elle avant que ce soit le silence radio complet, certaines personnes n’ont pas cette chance. 

Je crois que ma mère était inquiète que je sois à ses côtés au moment où elle rendrait son dernier souffle. J’ai toujours pensé que c’est la personne qui décide du moment de sa mort, elle lâche prise sur la vie au moment où elle paraît prête. Ma mère est décédée alors que je n’étais pas là. Si ma théorie est vraie et qu’elle a choisi de lâcher prise pendant mon absence, je lui en suis reconnaissante, lui dire qu’elle pouvait partir était suffisant pour moi.

Depuis, d’autres personnes sont décédées autour de moi et j’en ai accompagné quelques-unes jusqu’à la fin, mais en aucun moment ça n’a été aussi difficile que de donner à ma mère le feu vert de partir. Évidemment, tout dépend toujours de la proximité que l’on a avec la personne et du type de relation entretenue. Si on aime la personne ou si on ressent de la colère envers celle-ci, les émotions ressenties sont différentes, mais possiblement non moins douloureuses. 

Malheureusement, dans la société dans laquelle on vit, tout va toujours plus vite et on balaie le plus possible du revers de la main nos émotions, surtout les moins agréables. Éviter la perte, ne pas souffrir parce qu’on a plus le temps pour ça. De moins en moins de temps pour manquer ceux qui nous quittent.

C’est pourquoi les derniers moments, les dernières paroles et les derniers contacts physiques sont si précieux. Prendre le temps, le temps de parler, de régler des conflits même si l’autre ne peut nous répondre, de se remémorer les bons moments, de chanter ou fredonner des airs réconfortants pour la personne qui se prépare à mourir. Ma mère a eu la chance d’avoir mon frère à ses côtés et il a pris le temps.

« Tu n'es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je le suis. » – Victor Hugo

Image de couverture par PublicDomainPictures via Pixabay
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