Le déni est un mécanisme de défense qui peut permettre de traverser plusieurs années dans un état de survie. Quand j’ai eu 28 ans et que j’ai décidé d’arrêter de prendre la pilule contraceptive, je vivais encore dans le déni, pensant que j’allais retrouver un cycle menstruel normal, malgré le fait que je souffrais d’un trouble alimentaire non-diagnostiqué depuis mes 14 ans. La raison pour laquelle j’avais réussi à cacher mon anorexie pendant 14 ans était bien simple : je faisais exactement ce que la culture des régimes prescrit à toutes les femmes. Je suivais à la lettre le nombre de calories recommandées, je me défonçais dans tous les types d’entraînement possibles, je coupais les aliments interdits de mon alimentation, etc. Mes nombreux problèmes de santé et mon poids à la limite de la maigreur n’ont jamais inquiété mon médecin qui pensait avoir devant lui une femme en forme, mais trop stressée. Les gynécologues ont cherché ce qui faisait que mon corps ne produisait pas les hormones nécessaires pour déclencher un cycle menstruel. J'ai passé tous les tests possibles.
L’aménorrhée secondaire (disparition des règles) est pourtant un symptôme bien connu des troubles alimentaires. On l'attribue à trois facteurs: la perte de poids et surtout de masse grasse, la pratique de sports intenses et le stress chronique. Pas besoin d’être une athlète, contrairement à ce que la croyance populaire veut nous laisser croire. Laissez-moi vous expliquer le tout scientifiquement.
Normalement, l'hypothalamus produit des impulsions de l'hormone de libération des gonadotrophines (GnRH). La GnRH stimule l'hypophyse pour produire des gonadotrophines (hormone folliculo-stimulante (FSH) et hormone lutéinisante (LH)) qui sont libérées dans le sang. Les gonadotrophines stimulent à leur tour les ovaires pour produire des œstrogènes (œstradiol), des androgènes (testostérone) et de la progestérone. En l'absence de grossesse, l'œstrogène et la progestérone diminuent et l'endomètre s’assèche, causant des menstruations, environ 14 jours après l'ovulation. Dans le cas des femmes atteintes d’aménorrhée hypothalamique, tout ce système est dysfonctionnel dès le départ et les gonadotrophines ne stimulent pas le cycle de production des œstrogènes, empêchant ainsi l’ovulation et le cycle menstruel de se produire. Pas de cycle, pas de possibilité d’être fertile.
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L’hypothalamus est très sensible au stress psychologique et aux blocages émotionnels liés à la relation des femmes avec leur corps. Retrouver un poids sain et cesser la pratique d’exercices intenses ne mènent pas toujours à la guérison, puisque la relation malsaine avec l’alimentation et le sport n’a pas été guérie et que le stress chronique n’a pas été adressé.
Au fond de moi, je savais très bien que l'anorexie était la cause de tous ces bouleversements dans mon système reproducteur. Pour accueillir un enfant dans mon ventre, mon corps devait se sentir en sécurité. En le privant de la nourriture dont il avait besoin et en l’épuisant à coups d’entraînement à haute intensité, j’avais créé des dommages à mon cerveau, à mes os, à mes muscles, à mes cheveux, à mes ongles, à ma peau, à ma santé mentale et à mon système hormonal. Ce corps pour lequel j’avais travaillé si fort et investi des heures quotidiennement, j’allais devoir apprendre à le laisser aller si je voulais retrouver ma santé et pouvoir tomber enceinte. Ce serait un long combat contre moi-même et les croyances limitantes et destructrices que j’avais intégrées depuis une quinzaine d’années. Je n’avais pas le choix de suivre ce parcours de guérison éprouvant si je voulais un jour tomber enceinte, mais surtout retrouver un cycle menstruel, cadeau précieux d’un corps en santé physique et psychologique.