Mon réveil-matin ne sonne pas

Il ne sonne jamais, parce que j’en ai même pas de réveil-matin J’préfère me réveiller par moi-même avec une gueule d’un gars qui s’est couché quelques heures avant.

Sur le divan, entre quatre murs jaunes-pisse, j’me redresse tout en sueur.

J’me fais du café ou j’me fais pas de café? J’ai le temps de m’en faire? J’bois ça du café?

À peine huit heures, que déjà, je n’ai pas la tête à réfléchir et il y a une chaleur cuisante dans la pièce. Hors de question de ne pas prendre mon temps ce matin.

J’ai le temps de prendre mon temps ou je n’ai pas le temps de prendre mon temps. As t-on ça, dans vie, du temps, trop de temps?

Ouf, pas de ça maintenant, mon mal de tête ne me le permet pas.

Ça empeste la bière dans mon appartement et ce mélange de tabac dans ma bouche…la vieille robine. Cette constante moisissure environnante. Tout me lève horriblement le cœur.

Je ne dois pas vomir.

Je pense que je n’ai même pas le temps de vomir. Pire encore, je doute que me brosser les dents rentre dans mon emploi du temps. Faut investir son énergie dans les priorités ; me rouler un joint que je vais fumer sur la route de l’uni.

Ma bouche est un cimetière et je suis le cadavre ambulant qui la fait vivre.

Je me regarde dans le miroir. Je suis blême, cerné. Je commence à avoir une bonne barbe, mais je garde mes bouclettes. Mes yeux n'ont pas perdu de leur brun. En résumé, je fais dur, mais je garde tout de même mon petit charme. Celui que mon père m'a légué dans une boite à bijoux la veille de sa mort.

J’enfile une robe. Je passe une chemise par-dessus. Je vérifie que mes ongles sont propres. On peut négliger certaines choses, mais en général il faut avoir l’air bien sur quelques aspects.

Encore une fois, il faut « avoir l’air ». On reste dans le paraitre, dans le vague, dans le faire semblant. On le sait tous qu’au fond, ça ne va pas bien.

Je mets des pantalons noirs, plus les quelques accessoires qui me manquent. Dernier coup d’œil dans la glace ; j’ai vraiment un look gothique, une robe noire, une chemise noire, des pantalons noirs, des converses noirs, des bas noirs, pas mal tout noir, et pas mal tout le temps.

Je suis sur le cadre de la porte, je n'ai aucune envie de persister. À quoi bon les études, le travail. Moi je voudrais voyager. Partir sur une go et vivre. Arrêter de m'en faire pour tout et tout le temps.

Pouvoir méditer et me débarrasser de l'anxiété, être libre de toute socialisation. À nu de tous ces commentaires sur l'importance d'un emploi, de trouver une famille, d'être un bon gars, un bon papa.

Être libéré de ces chaines répressives et pouvoir être bien.

Pouvoir être moi. Enfin, sans gêne, sans façade, sans rien. Honnête avec les autres comme je peux l'être avec ma personne. Terminé le paraitre, terminé le mensonge. Je suis enfin moi! J'allume mon joint et je pars!

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