Maman, je t'écris aujourd'hui parce que je ne sais pas quoi faire d'autre pour soulager cette peine, cette brûlure encore fraîche que tu as laissée sur mon coeur d'enfant. Au premier rang de ma vie depuis toujours, tu as été ma cheerleader personnelle quand les autres enfants me faisaient douter de ma valeur. Tu m'as apaisée avec tes berceuses chantées sur un air un peu faux, mais réconfortant. Quand notre monde s'est écroulé, tu as trouvé la force de conduire le navire à bon port, avec tes trois enfants dedans. Alors pourquoi, quand j'ai glissé par-dessus bord, je n'ai pas vu ta main se tendre pour attraper la mienne?

La vérité, c'est qu'à seize ans, j'ai voulu mourir. Les gens pensent souvent que j'exagère, que ce sont des caprices d'adolescente. Ces gens, ils n'ont pas vu la façon dont je regardais mon rasoir dans la salle de bain. Ils n'étaient pas là quand le contenu du pot de pilules me paraissait comme un merveilleux repas. Eux, ils n'ont rien su de tout ça. Toi, oui.

Pourtant, tu as choisi de fermer les yeux. Au moment où j'avais le plus besoin de ma cheerleader, elle m'a tourné le dos et elle est partie, me laissant au milieu du terrain comme une conne, une pauvre fille de seize ans sans parents. Une fille de seize ans qui a dû être droguée pendant des semaines avant de retrouver un semblant de vie normale après avoir reçu un diagnostic de dépression majeure.

Maman, ton absence m'a brisée. Tu étais mon roc, mon seul parent, mon amie. Et le jour où j'ai eu envie d'en finir, tu n'étais pas là pour me dire de ne pas le faire. Tu as choisi de sauter dans le premier avion pour travailler, loin des problèmes de santé mentale de ta fille et loin de moi. Tu as rejoint l'île, bu quelques bières, et tu m'as regardé tenter de survivre sans flotteurs au beau milieu de l'océan.

Moi qui ai toujours été maternelle, même un peu trop, je ne parviendrai jamais à comprendre comment une mère peut laisser son enfant aussi mal en point. Si je savais que mon enfant pensait mettre fin à ses jours, je ferais tout en mon pouvoir pour l'aider à remonter la pente. À bout de force, je porterais son malheur sur mon dos, à défaut de finir comme une vieille dame courbée. Parce que c'est ça, être une mère. C'est prendre un peu de la douleur de ses enfants sur ses épaules, dans le but de les apaiser. C'est de leur prouver qu'ils valent tout l'or du monde, même s'ils ne le voient pas.

Avoir un problème de santé mentale, c'est difficile pour les proches aussi. Tu as dû faire quelques insomnies, avoir quelques inquiétudes, mais sans plus. Sinon tu serais sauté dans le premier avion pour rejoindre ta fille encore droguée par les médecins. Mais tu ne l'as pas fait. Et ça me fend le coeur.

La semaine dernière, dans un film, la protagoniste se rend à l'hôpital après une tentative de suicide et son père accourt, travail ou pas. J'aurais aimé que tu sois ce parent, prêt à combattre toutes les tempêtes pour me savoir hors de danger. Mais ce n'est pas le cas. Un jour, je devrai faire la paix avec tout ça. Mais pour l'instant, la fissure est encore beaucoup trop grande, maman.

Source de l'image de couverture : Unsplash
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