L’endroit où je me trouve est exactement comme je me l’étais imaginé. Un fauteuil long, une bibliothèque, un grand bureau et trois chaises confortables. Je consulte une psychologue depuis un peu plus de deux ans, elle est assise à côté de moi et me regarde avec compassion. Nous sommes dans le bureau d’un psychiatre. Depuis un an, elle tente de me sortir du déni face à un possible diagnostic. Aujourd’hui, j’ai décidé d’en avoir le cœur net. Je n’ai jamais vu de psychiatre. Il me pose des questions durant ce qui me paraît être une éternité. Plus il parle, plus j’ai l’impression que je fuis dans ma tête. Le psychiatre annonce être prêt à apposer deux diagnostics en plus de celui que j’ai déjà. Je sais ce qu’il va dire, son non-verbal est flagrant. J’ai envie de fuir. Il nomme que je suis un cas typique de trouble dissociatif de l’identité. Le temps s’arrête, je sens le sol vouloir m’avaler et j’ai cette impression que je vais être malade. Comme pour être certain que j’ai bien entendu, il me répète : vous avez un trouble dissociatif de l’identité! Je voudrais crier, ma tête tourne et je dois me rappeler de respirer. Pour une personne qui se considérait « normale », j’ai un trouble de l’attachement, un trouble de stress post-traumatique et un TDI. On va devoir redéfinir la normalité.

Est-ce que je peux nier? Certainement! Toutefois, je vous invite dans ma tête. Pendant la durée de l’entrevue, ma concentration était difficile parce que j’entends cette petite fille qui aime se balancer, une jeune adulte anglophone qui a envie de dire sa façon de penser au psychiatre crie son désaccord et finalement, cette voix d’un adolescent me disant de lancer ma bouteille près de la fenêtre pour faire diversion dans le but que je puisse m’enfuir. Je vous présente Anne-Sophie, Phoebe et Victor. Dire leur nom a été souffrant parce que cela confirmait mon diagnostic.

J’avais envie de revenir un an plus tôt alors que je ne savais pas ce qu’était un trouble dissociatif de l’identité. Soyons honnête qui sait ce qu’est un trouble dissociatif de l’identité. Le DSM V (manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux) décrit le TDI comme étant la présence de deux identités distinctes en mesure de fonctionner au quotidien jumelée à de l’amnésie. En gros, ma mémoire ressemble à un fromage suisse, j’ai tous les symptômes du TSPT soit notamment des flashbacks, des cauchemars, de l’hypervigilance, j’entends également des voix dans ma tête par moment et finalement, la dissociation est ma meilleure amie. Pour avoir un TDI, il faut avoir vécu des traumatismes répétitifs avant l’âge de 9 ans. L’enfant devant les situations où il ne peut pas fuir physiquement, va fuir dans sa tête. Il va utiliser ses ressources pour compartimenter ce qu’il vit. Ainsi, une partie aura certains souvenirs traumatiques, une autre portera des émotions comme la colère, d’autres seront en charge du quotidien afin de se répartir les tâches. Le trouble dissociatif de l’identité est le mécanisme de défense ultime. Il m’a sauvé la vie. Grâce à lui, je suis intervenante psychosociale depuis des années, je suis indépendante financièrement et j’ai des amis en or. Il n’y a pas une once de violence en nous, alors non ce n’est pas comme dans Split. Ma terreur face à la tombée de ce diagnostic était qu’il est le plus méconnu et stigmatisé de tous les troubles du DSM V. Le jugement fait mal parce que je n’ai pas choisi d’avoir un TDI. Honnêtement, j’aurai espéré que le psychiatre me donne n’importe quel autre diagnostic.

Je n’ai pas d’antenne sur la tête, les changements d’une partie à l’autre ne sont pas marquants, non ce n’est pas de la schizophrénie comme mes voix sont dans ma tête, certains autres membres de mon système m’imitent si bien que vous ne verriez pas la différence, je doute à tous les jours de ce que j’expérimente et oui, un an après cette journée fatidique, je peux enfin dire: j’ai un trouble dissociatif de l’identité.

femme visages multiplesSource image: Unsplash
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