C’est au son d’un bruissement que s’ouvre La disparition des choses d’Amélie Rajotte. Un éclat de lumière, un corps, son ombre. Le reste : vide. On se dit que tout a déjà disparu. Pourtant, quelque chose naît sous nos yeux. Une caresse, un débattement, une pulsation. Le spectacle. 

Puis en arrive une autre ; elles sont maintenant au nombre de deux à habiter cet espace dénudé. Le début s’étend comme une méditation, une pause qui s’offre comme nécessaire après mon arrivée précipitée à l’Agora de la danse. La performance s’installe dans la contemplation. Les deux femmes étirent leurs bras, ondulent presque imperceptiblement, me font penser à deux grandes herbes dans un champ. Comme il doit être doux d’être une tige de blé. Elles évoluent en parallèle, loin l’une de l’autre et inattentives aux gestes produits par ce corps qui évolue comme une orbite complètement hors de la sienne. 

La minutie du mouvement et la conscience du corps ressortent avec fulgurance dans cette chorégraphie. Les gestes qui parcourent le corps qui se tord se répandent jusqu’au bout des doigts et dans les yeux, qui semblent danser eux aussi. Les danseuses semblent tenter de saisir quelque chose dont elles sentent irrémédiablement la présence, c’est là, c’est juste devant moi, ne voyez-vous pas ce que j’essaie de saisir ? Mais non, il n’y a rien. Peut-être seulement une absence de ce qui a déjà été.

Le spectacle est accompagné de projections.

D’abord, elles rappellent la Voie lactée. Ensuite, des arbres. Le bruit blanc, calme, se change en crépitement puis : craquements. Le corps devient plus étrange. Les danseuses se plient et se déplient, ramassent, jettent, repoussent, tendent vers. Elles se rapprochent, mais ne se touchent pas, ne se regardent pas. Elles sont seules à deux dans cet environnement complexe et minutieusement travaillé par les artisans du son et du visuel.  

Tranquilles, paisibles, les deux danseuses s’activent soudainement. Elles ressemblent à des animales, sauvages, féroces. Elles s’accrochent, elles tiennent, fort. Elles semblent traversées de spasmes sur la musique qui augmente en intensité. Le son à la texture électro est dissonant et rempli de distorsions. Il monte, monte, monte, jusqu’à devenir complètement assourdissant. Les danseuses sont déchaînées. C’est un beau capharnaüm. 

Enfin, le tout redescend.

Retour au calme initial. Les danseuses, Amélie Rajotte et Marie-Philippe Santerre, se meuvent lentement. Délicatesse après la puissance. Enfin : elles se touchent. Les bras et les jambes se mêlent pour former une créature à deux têtes franchement captivante. La disparition des choses est un spectacle absolument magnifique sur la dissolution, le vide, mais aussi : sur la possibilité créatrice qu’engendre l’absence. Énorme salutation au travail de Nelly-Ève Rajotte pour « les projections -paysages », Stephanie Castonguay et ses instruments inusités ainsi qu’Olivier Landry-Gagnon, presque spectacle en lui-même par son immense passion visible lorsque sa musique s’est lancée haute en couleur. 

Une performance résolument enivrante à voir avant ses derniers jours de vie sur scène, à Montréal.

La disparition des choses est présentée à l'Agora de la danse jusqu'au 2 avril 2022.

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