Travailler en médias sociaux, c’est prendre un paquet d’habitudes qui restent avec toi, même quand tu n’est pas sur ton quart de travail. Rapidement, tu apprends un paquet de choses qui changent ta manière d’utiliser les réseaux sociaux.

Tu apprends à contrôler ta propre empreinte numérique.

Tu apprends comment écrire à une autre page Facebook pour chialer, en tant que client, et ne pas donner envie au gestionnaire de communauté de démissionner sur le champ.

Tu apprends à tout lire et à tout ignorer en même temps. Surtout la section commentaire d’une publication. 

Ma déformation professionnelle c’est ça : je suis une petite blette qui veut tout lire, même si je le sais que ça va juste me faire perdre un peu foi en mes confrères et consœurs humains. Je vais voir une nouvelle passer sur mon fil de nouvelles Facebook, 43 commentaires, et je vais cliquer.

Je vais cliquer et une déferlante de Sylvie, de Joachim, de Keuvunne et de Ginette qui n’ont pas lu l’article va se vomir à même la page. De charmants personnages, gradués de l’école de la vie, avec un doctorat en conspirationnisme ou en médecine généticonucléaire obtenu entre deux commentaires désobligeants sur les médias sociaux vont se permettre de dire tout haut ce qui mériterait une belle claque dans la face si on était en train de souper à la même table.

C’est difficile, et je dois me faire violence pour ne plus les lire dans ces commentaires odieux. Des attaques gratuites, des piques désobligeantes et des insultes impromptues. Tous les sujets sont des terrains fertiles pour l’indécence en ce moment, on est vraiment dus pour aller jouer dehors.

Je ne sais pas si ces bonnes gens-là savent que leur commentaire est public?

S’ils le savent et leur seule intention est d’être méchants et de faire une victime potentielle par leur malice. Peut-être qu’ils ne sont pas au fait qu’un commentaire ignorant sur la page de Radio-Canada, en dessous d’un article sur les féminicides, ce n’est pas comme se parler tout seul dans la douche.

Ton avis sur les réfugiés, tu peux bien te le garder, Gérard. Ils ne viendront pas chez vous parce qu’ils sont à la poursuite d’une vie meilleure. Ils ne voleront pas ton chèque d’aide sociale ni ton Pepsi. Pas besoin d’être injurieux parce qu’ils ont une autre couleur de peau.

La liberté d’expression ce n’est pas ce que tu penses, matante

Dans une société où on a le « j’ai l’doua » facile, le monde s’autorise de dire pas mal de choses douteuses sous le couvert de la liberté d’expression. Des propos racistes, homophobes, transphobes, classistes ou tout simplement mensongers. Mauvaise nouvelle, la liberté d’expression ce n’est pas de régurgiter sur Facebook tout ce que tu as en tête, c’est de pouvoir dénoncer des inégalités ou des mesures législatives sans représailles.

C’est de pouvoir dire que ça n’a pas de bon sens d’approuver un projet de pipeline deux jours après le rapport du GIEC. Pas de dire que François Legault est un taliban parce qu’il étend la période du port du masque. 

C’est ces mêmes personnes qui ont élevé une génération pas mal plus sensibilisée et réfléchie en leur répétant le  mantra : « tourne ta langue sept fois dans ta bouche avant de parler ». Un mantra sur lequel ils devraient méditer un peu.

La section commentaire Le Cahier

Ça fait partie de ma job de lire tous ces commentaires-là qui nous viennent du lectorat. Si Radio-Canada doit faire un ménage constant sous leurs publications, nous on s’inspire du Journal de Montréal qui eux laissent tout passer. Pourquoi laisse-t-on à peu près tout passer ? Parce qu’on a réussi à bâtir une communauté forte, engagée et bienveillante qui apporte uniquement du positif dans nos commentaires. Un beau baume rassurant dans une tempête d’utilisateurs malicieux, laissés sans supervision.

Le monde a tellement besoin de douceur et de compassion en ce moment, pour balancer les horreurs de guerre qui se déroulent aux quatre coins de la planète, l’anxiété généralisée par les changements climatiques pis la première pandémie moderne (conspi : ce ne sera pas la dernière, on va mieux gérer les autres, jetez pas vos masques en tissus la gang). Je comprends qu’un vomi verbal c’est un exutoire, je viens d’écrire ce texte au complet sans respirer.

Image de couverture par Glenn Carstens
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