22 :45 s’affichent sur ma montre. Moins d’une heure quinze avant les grands coups de minuit. Sonnera alors l’heure de mes vingt et un ans. Je suis couchée dans mon lit et j’écoute en boucle « Not about Angels » alors que je ne peux m’arrêter de pleurer.
Alors que je pleure toutes les larmes de mon corps, j’en veux au reste de l’humanité. J’en veux à mes parents, au gouvernement, à la société et le plus important, à ce foutu Covid.
Une heure dix avant les grands coups de minuit. Je devrais être dans un bar, avec quelques verres en trop à danser sur une table avec mes meilleurs amis qui ont tout autant bu que moi. Je devrais aborder le beau garçon qui me fait de l’œil ou alors commander une tournée de shooters à ceux qui me sont chers. Les épreindre et leur dire à quel point je suis reconnaissante de les avoir dans ma vie, car je ne sais pas ce que je ferais sans eux. Parce qu’en réalité, c’est exactement ça ; je ne sais pas comment j'arrive à continuer d'avancer sans eux. Je suis là, couchée, pétrifiée… J’aimerais pouvoir arrêter le temps sur l’horloge. Revenir en arrière, récupérer cette dernière année et demie perdue en raison de la Covid.
Je devais fêter mes vingt et un ans en grand, l’âge de la majorité. Je me souviens encore lorsque ma mère me parlait de faire un voyage pour l’occasion. Elle souhaitait m’amener à Vegas.
Je me souviens de la déception que j’ai éprouvée à ma fête de vingt ans. « C’est pas grave, l’an prochain je vais pouvoir sortir avec mes amis pour célébrer en grand », que je me disais.
Un an. Trois cent soixante-cinq jours. Huit mille sept cent soixante minutes. Trente et un millions cinq cent trente-six mille secondes.
Tout ce temps que l’on ne rattrapera jamais, tous ces souvenirs partis à tout jamais. Les meilleures années de la vingtaine qui s’éteignent à petit feu, laissant place à une vague d’incertitude.
Le temps continue d’avancer. Plus qu’une heure avant le grand jour. Tout le monde se fait exciter autour de moi. On me rappelle que j’aurai vingt et un ans, à quel point c’est gros d’avoir vingt et un ans. Pourtant, une partie de moi est toujours coincée dans le corps de la jeune femme de dix-neuf ans. Celle qui a débuté la pandémie en voulant croire. Croire que ça irait bien, croire qu’elle pourrait serrer les membres de sa famille dans ses bras pour sa fête. Une partie de moi croit toujours en ce mauvais rêve. Le temps s’écoule, pourtant rien ne change.
Je crains mon réveil du lendemain. Sortir de ma chambre avec mes parents qui m’attendent à bras ouverts pour me souhaiter un joyeux anniversaire. Devoir leur faire un sourire comme si de rien était. Oublier la veille, toutes ces larmes qui se sont écoulées et mettre la faute des yeux boursoufflés sur un manque flagrant de sommeil. Le faire parce que je devrais me compter chanceuse d’être en vie et en bonne santé. Le faire parce que certains l'ont eu beaucoup plus difficile que moi. Le faire parce que c'est pas grave, c'est juste mes vingt et un ans, je pourrai me rattraper à ma fête de vingt deux ans.