Inventer sa vie

J’ai tenté, l’instant d’une soirée, de me faire passer pour quelqu’un d’autre que moi. De m’inventer une vie… Puisque je réalise qu’autour de moi plusieurs le font, j’ai voulu tenter le coup. Ou peut-être ai-je voulu voir si j’avais un certain talent pour me construire une autre identité. Je me suis donc brodé plusieurs vies et je me dois de l’avouer, j’ai pris un certain plaisir, au début du moins, à le faire. Nous vivons dans un monde où les gens ne prennent plus la peine d’aller au fond des choses, au fond des gens, et c’est très triste…

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J’ai eu, au cours des dernières années, un profil sur le site de FB rencontres. Je m’y décrivais le plus fidèlement. Photos, description, activités, loisirs ; tout ce que j’y avais inscrit était vrai. Je répondais aux questions honnêtement et me faisais un devoir de ne me jouer de personne.

Jusqu’à hier… Hier où je me suis dit que j’allais essayer de m’inventer une vie. J’ai mis à l’étude la théorie selon laquelle certains mecs étaient champions dans l’art de se feindre une identité et, que certaines femmes l’étaient dans l’art d’omettre des détails de leurs vies. Que certains écrivaient un truc et son contraire au cours d’une même conversation et ne réalisaient pas que leurs mensonges étaient aussi gros que l’est le nez au centre du visage.

Je me suis donc créé plusieurs personnages. Je me suis prénommée Annie le temps d’une soirée lors de laquelle, somme toute, j’aurai appris… J’ai été hier médecin généraliste, surveillante dans un service de garde, dentiste, entrepreneure et finalement, gestionnaire informatique. J’ai choisi ces métiers parce que je ne m’y connais dans aucun de ces domaines et que je me suis dit que ma supercherie serait plus facilement mise à jour. Or, personne n’a vu que je n’étais que bobards.

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Chacune de mes personnalités a clavardé hier avec un homme différent. Je passais d’une conversation à l’autre allant parfois jusqu’à me fourvoyer sur qui je n’étais pas. Il va de soi qu’au terme de la soirée j’ai avoué aux hommes de mon échantillonnage la vérité. Gentlemans, ils m’ont tous remerciée de leur avoir dit la vérité et m’ont avoué que grand nombre de femmes mentent sur les sites de rencontres et n’avouent jamais leurs mensonges. Mon test n’aura duré que quelques minutes et m’aura désabusée de l’humain.

Il est d’une facilité déconcertante de se faire passer pour une autre. Il est tout aussi facile de savoir ce que la personne avec qui on discute veut lire. Je savais que certains me préféraient érudite, carriériste, drôle, mélomane ou sportive. Je savais que j’accrocherais certains si je n’avais pas d'enfants et que d’autres aimeraient que j’en aie. Hier aussi, j’ai aimé le punk, le jazz et j’ai joué de la guitare. J’ai plus tard été championne de sauts à ski, prof de yoga et maître nageuse. Bref, mon inspiration n’a trouvé d’égale que la sottise de ma soirée.

J’ai même tenté de voir si je pouvais arriver à faire croire n’importe quoi aux gens de mon entourage. J’ai raconté une histoire inventée de toute pièce à l’une de mes filles et à l’un de mes amis. Ils y ont cru… Ils ont cru ce que je leur ai dit sans même remettre en questions certains passages incohérents. À eux aussi j’ai avoué mon baratinage.

Hier j’ai été une autre que moi, ce que ça faisait d’être quelqu’un d’autre que moi, mais surtout, j’ai réalisé que mentir était d’une facilité déconcertante. Les gens aiment quand on leur dit ce qu’ils veulent entendre, ils aiment qu’on soit la personne qu’ils cherchent… Hier j’aurai vu qu’il est aisé de jouer à être quelqu’un d’autre, mais que jouer un personnage est perturbant.

Les sites de rencontres regorgent de gens à la recherche de quelque chose. Il n’a jamais été aussi facile qu’en ce moment de faire de nouvelles rencontres puisqu’il n’y a jamais eu autant de célibataires. Mais malheureusement, ce paradoxe révèle que ces rencontres laissent trop de place au paraître à défaut de l’être.

Je croyais pouvoir arriver à savoir pourquoi certains prennent plaisir à s’inventer une vie, mais je n’y suis pas parvenue. J’ai seulement pris conscience qu’aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de rencontrer des humains vrais… Alors que j’ai mélangé du vrai à mon faux, je n’ai pu que me considérer privilégiée de pouvoir profiter de ma fin de soirée assise au bord du fleuve dans l’arrière-cour d’un ami…

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