Je suis dans un état second. On dirait que tout est arrêté autour de moi.

L’endroit où l’on se fait ami avec l’insomnie. Cette insomnie qui me gruge de l’intérieur. 2h du matin. Je travaille dans 6 heures et demie. Je commence à ressentir le stress. Je dois être en pleine forme en tout temps. Alerte. Disposée. Disponible. Reposée. Parfaite.

J’écoute « Plus tôt » d’Alexandra Streliski. Je respire. Je manque d’air. Je me sens fatiguée. Incapable de relaxer.

Les images qui me viennent en tête sont dignes d’un cauchemar qui ne se termine jamais. Mais pour faire un cauchemar, je dois être endormie. Je ne dors pas. J’angoisse. Je pense à mon organisation de demain, mes tâches, mes responsabilités, le stress de mon emploi.

Ce soir, je laisse mes pensées s’emporter et je réfléchis aux enfants qui sont victimes de maltraitance de toutes sortes. Un petit coco de six ans qui vit des choses que même un adulte ne pourrait pas gérer. Je me demande comment il va ce soir. J’espère qu’il est bien et en sécurité. J’espère que j’ai pris les bonnes décisions.

J’ai peur de l’erreur. C’est humain. Mais quand on travaille avec des humains, l’erreur est impardonnable.

Ludovico Einaudi joue « Primavera » dans le haut-parleur de mon téléphone. Mes yeux ferment tranquillement. J’ai l’impression de ne pas avoir de suite dans les idées. C’est ça un peu l’insomnie. Trop de pensées, trop de réflexions et d’émotions pour un esprit fatigué.

Puis, ma pensée se dirige sur les conditions dans lesquelles nous vivons. On demande aux « anges gardiens » de faire leur travail, de tenir le coup. Je crois qu’«ange gardien» est un très bon terme pour décrire ce que deviendront les employés des services sociaux et de santé, si la situation ne s’améliore pas.

Des anges. Car des décès il va y en avoir. Du personnel avec trop de pression, la vie de personnes entre nos main, pression du gouvernement, mauvaise reconnaissance du travail qui est fait, désinformation dans les médias.

Un moment donné, c’est assez.

Je suis inquiète pour la santé de mes collègues. Ça pleure, ça se sent dépassé, impuissant, puis ça nous quitte. J’ai peur qu’une goutte fasse déborder le vase et que les suicides se multiplient chez les professionnels de la santé et services sociaux. Une chance que des organismes peuvent aider dans les moments de crises.

Cependant, pour un suivi psychologique, faut prévoir sa dépression quatre ans à l’avance. On s’inquiète pour les enfants, les adolescents. Les adultes eux? Les gens au front lors de cette pandémie?

Le système public et privé sont engorgés plus que jamais. Les professionnels se lancent la balle, des dossiers tombent entre deux chaises puis oups. Cover du journal. Mort. C’est lourd.

2h25 du matin. Je suis découragée. Il faut se tenir serré, mais pas trop proche (le 2m tsé). Je pleure, car c’est dans ces moments d’insomnie que je réalise l’importance de la famille, l’idée de pouvoir voir mes grands-parents et les serrer dans mes bras.

On est seul, laissé à nous même. Et là, dans cinq heures, je dois aller travailler. Prendre soin des gens. Leur apporter réconfort, amour, écoute.

Pendant ce temps, qui prend soin de nous? Qui prend soin des anges gardiens pour s’assurer qu’ils ne deviennent pas des anges? Qui prendra soin des personnes vulnérables si les anges gardiens deviennent des anges? Est-ce que l’argent, l’économie est plus importante que des vies humaines?

2h35 du matin. Je stresse encore plus pour demain. Je suis fatiguée. Je suis en colère. Je me sens impuissante. J’aimerais tout changer. Offrir encore plus, me donner plus, sauver tous les patients, enfants, aînés. Leur apporter le soutien qu’ils ont besoin.

Je retourne à mes pensées, les yeux un peu plus tristes et humides. Je verse des larmes vers l’inconnu qui se présente à nous, la peur qui nous habite tous, l’incertitude.

pas être capable de dormirsource image : Unsplash

J’ai peur pour mes amis, mes collègues, ma famille. J’ai peur pour mes amis et ma famille qui habite outre-mer et qui sont tout autant touchés par la pandémie. Je me demande si je vais les revoir un jour.

Je retourne immédiatement dans mes pensées, l’anxiété de devoir me lever à l’heure, répondre à la demande, gérer des crises, me gérer moi, et vaquer à toutes autres tâches nécessaires dans une journée.

Je me demande à quel moment le « drop the mic » peut être utilisé. Faudrait demander à Marie-Lyne Joncas qu’elle nous explique le pouvoir du drop the mic.

En toute honnêteté, j’adore mon travail. Je ferais ça toute ma vie. C’est difficile. Ça brise le cœur. Mais je dois bien faire du bon quelque part?

Je m’accroche, je vais aller me coucher, question de récupérer le peu d’heure de sommeil qu’il me reste. Intéressantes sont les pensées qui peuvent venir lorsque nous prenons le temps de réfléchir. Important de mettre les choses en perspective et ne jamais oublier qu’il y a toujours au moins deux côtés à la médaille. Dans l’insomnie. Dans mon monde parallèle.

J’espère secrètement que Capitaine Twist (monsieur Jay Du Temple) vienne nous annoncer que tout ça est une blague, un canular, style la taupe à OD Afrique du sud.

Je retourne essayer de dormir. La tête pleine de questions, d’inquiétudes, d’anxiété.

Signé l’employée, la femme, l’amie, qui fait son possible et même plus pour sauver des vies : celles des inconnus, celles de mes proches et la mienne.

source image de couverture : Unsplash
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