Anthony c’est ma première date Tinder.

Je me souviens encore de son profil, du gros n’importe quoi. Il avait une tête et un poids différent sur chaque photo, mais après avoir vu la photo sur laquelle il se rasait avec un couteau de cuisine, je me suis dit que c’était le parfait idiot pour tester mes habiletés de séductrice virtuelle! Il était tout de même un peu cute. Un genre de Peter Pan qui a bien vieilli.

It’s a Match !

Calvaire ! Le premier gars que je swipe à droite, après les deux-cents que j’avais swipés à gauche, puis j’ai un match ! Je me souviens que je l’ai attaqué dans l’immédiat d’une parole stupide et quelconque parce que j’avais besoin d’attention rapidement. Je venais de terminer 500 jours ensemble et je me souviens que j’avais été prise de panique ce soir-là... J’en voulais une moi aussi...Une belle histoire avec des chansons puis des oiseaux en dessin animé qui sortent de nulle part ! Bref, j’ai dû faire preuve de patience parce qu’Antho était vraiment une merde avec les réseaux sociaux et surtout avec son cellulaire. Je pouvais attendre des heures et même parfois des jours avant une réponse. Quand Anthony vous dit qu’il n’a plus de batterie, ce n’est pas une façon polie de vous dire subtilement qu’il s’en fout de vous. Il n’a vraiment plus de batterie. Heureusement pour lui, il savait comment me faire rire avec des mots et il faut dire que je n’ai pas le rire facile, surtout pas par texto.

Avec lui, j’ai fait mes premiers échanges de textos maladroits, mais honnêtes. Je ne savais pas combien de temps attendre et quels mots utilisés pour l’inviter à la crèmerie. Je me souviens que ça m’avait fait vraiment chier de devoir le bouder par texto pour qu’il m’accorde un petit moment.

Bref, Anthony c’est ma première date Tinder, mais c’est aussi mon humain préféré. Ma maison. Celle dans laquelle je m’enferme pour m’éloigner des tempêtes du quotidien. Une toute petite maison dans une grande ville. Une maison à la fois réconfortante avec ses couleurs pastel, ses plantes et son assortiment de mes animaux préférés prêts à m’attaquer de câlins, mais aussi un peu trop paisibles pour moi. J’ai besoin d’orages. Je ne le savais pas encore exactement ce premier jour-là qu’Anthony était ma maison, mais j’allais finir par m’en rendre compte après beaucoup de larmes, de frustrations et surtout, après notre dernière guerre de textos. Guerre de mots. Nos orages. Orages que j’initie moi-même. Des provocations que j’assume sans avoir une cause raisonnable sauf la peur de n'être qu’une fille ordinaire.

Aujourd’hui, c’est journée cinéma Beaubien pour Anthony et moi. Depuis qu’il avait une nouvelle copine, je pouvais me considérer chanceuse de pouvoir aller au cinéma avec lui. Elle n’avait par l’air de trop approuver qu’on passe du bon temps ensemble même si j’étais là avant. Même si en théorie, je ne représentais aucune « menace » comme on dit souvent, nous, les amies filles. Nous, les amies filles qui se mentent à elles-mêmes. Celles qui cachent un peu leur jeu. Comme celle qui secrètement, s’amourache d’un gars qu’elle aurait rencontré sur Tinder quelques années avant, mais qu'après avoir couché avec ce dernier, a préféré développer une relation platonique avec lui plutôt que de le perdre. Relation platonique qui lui a été imposée malgré ses efforts de séduction parce que pour lui, elle était juste une amie… Bullshit ! J’attendais juste le moment parfait, c’est-à-dire un joint et trois old fashion que tu sois un peu saoul pour te dire à la blague que oui, je t’aime un peu. Tester ta réaction... Situation que j’aurais pu mettre, par la suite, si ça tournait mal,  sur le dos des deux vodkas Redbull le lendemain matin. Et oui, ça prend juste deux verres pour saouler une fille de cinq pieds deux et trois quarts. Ceci dit, je ne pouvais pas en vouloir à sa copine de ne pas m’apprécier sans même me connaître. Anthony et sa candeur habituelle avait trouvé que c’était une bonne idée de lui dire, probablement entre deux phrases insignifiantes, que nous avions déjà couché ensemble. Bravo champion ! Tu lui as dit tous les détails? La taille de mes seins et que j’avais un tatouage dans le bas du dos aussi ? Seigneur ! C’est à la fois ce que j’aime et déteste le plus de lui. Sa naïveté. Même si je lui en voulais un peu qu’il ait compliqué notre relation en primant l’honnêteté avec sa copine, j’étais tout de même contente qu'elle sache que j’avais fait mon territoire et ce avant elle. J’étais là pour rester.

Mais ça, c’était avant que je décide de nous saboter par peur de tomber dans la case de l’amie normale. Pas juste la friend zone, mais l’amie normale. Sans rien de particulier. Celle que tu vas oublier quand tu vas finir par devenir un « adulte plate ». L'adulte plate dont les plans d’avenir changent constamment. Celui qui se dit ambitieux, mais qui finira par aimer à moitié ce qu’il fait parce qu’il n’exploite pas son plein potentiel. Celui qui a peur de faire le moindre geste en sa faveur parce qu’il a peur de choquer les gens qui l’entourent.

Source image: pexel

Au cinéma...

Comme si ce n’était pas suffisant d’attendre ma vie pour que tu te rendes compte à quel point je tripe sur toi, tu es légèrement en retard. Deux minutes à peine, mais comme j’ai la manie d’arriver un quart d’heure en avance partout, ça va faire bientôt dix-sept minutes que je t’attends et ma face est déjà en mode reproche. J’ai commandé mon thé. Je me suis brûlée la langue. J’ai chaud. Ma chaise est aussi confortable qu’un bloc de ciment. Il y a deux millions de personnes. Puis, il y a un bébé qui hurle depuis que je suis arrivée. Tout ça en dix-sept minutes! C’est quand je décide que s'en est assez que tu arrives avec tes New Balance puis tes yeux collés.

- Tu es en retard !

-  Je sais !

- La salle n’est pas encore prête ! Veux-tu te prendre un café puis on va faire le tour du parc ?

-  Oh que oui ! J’ai besoin de caféine.

« Criss » que tu es beau des fois. Vraiment ! Ton pull, tes cheveux parfaits puis ton odeur. Bravo. Je te regarde commander ton café puis je ne peux pas m’empêcher de me sentir bien. Me sentir apaisée. Des fois, je me demande si les gens pensent qu’on est en couple? Clairement on n’est pas une première date parce qu’on n’a pas ce vibe là. Si c’était ma première date, je ne commencerais pas par te dire que tu es en retard avant même de te dire bonjour. Je me souviens encore de notre première date au World Press photo. J’avais apporté un sac de bonbons à manger dans le cas que tu sois trop plate. Tu ne parlais pas beaucoup, mais tu as fini par rire de mes blagues et je t’ai même invité à piger dans mon sac de bonbons. Si je te partage ma nourriture, c’est un très bon signe. Tu en as pris pour me faire plaisir, mais ta face me le disait que tu ne tripais pas pantoute sur mes choix sucrés. On ne s’est pas embrassés. Tu ne m’as rien promis. Non, on ne s’est pas embrassés. On ne s’est pas embrassés souvent en fait. Je ne me souviens plus tellement ça fait longtemps. J’aimerais ça me souvenir, mais je pense que c’est mieux que ça reste flou. On ne peut pas s’ennuyer de quelque chose dont on ne se souvient pas.

- Tu veux le prendre à l’intérieur ton café ?

-Non, on va aller marcher dehors.

- OK, je voulais être certaine que j’avais pas choisi à ta place.

-Non non, il y a…

- Un bébé qui crie !!!!!!?

- OUI !

-Je ne sais pas ce que je fais si j’ai un enfant qui crie tout le temps. Mettons je fais quoi ? Je peux-tu le mettre sur Kijiji ? Bébé défectueux à donner.

-Raison de l’abandon, bébé pas particulièrement sympathique. On va se reprendre au prochain.

-Hahahhahahah On est horrible ! OK ! J’ai un jeu.

-Go !

-On choisit dans notre tête l’enfant le plus laid du parc puis on essaie de deviner quel enfant que chacun trouve le plus laid !

-OK !

-C’est fait, j’ai trouvé le plus laid.

-Moi aussi !

- C’est clair qu’on a choisi le même.

-Tu penses ? Est-ce que c’est une fille ?

-Elle est trop proche pour que je te dise à quoi elle ressemble, mais elle a des biscuits dans les mains.

-Dans ses grosses mains mettons pour aller avec son gros ventre et ses grosses joues ?

-OK, oui on a choisi la même.

-Shit elle vient vers nous.

-Anyways, c’est l’heure

-Ok, go avant qu’elle nous mange.

-Seigneur Antho !

* * *

Je suis souvent perturbée quand je sors du cinéma Beaubien. Surtout quand c’est Antho qui choisit les films, mais vraiment celui-là c’était le pire !

-On aurait dû aller voir Ma vie de courgette comme on était supposé !

-Ouain, mais mon ami m’avait dit que c’était bon.

-Ouin bien ton ami doit être spécial…

-Bon Bon Bon Marie.

-Non, mais qu’est-ce qu’on vient de vivre ?

-Sérieux je ne sais pas.

-As-tu compris c’était quoi le but du film ?

-Non… Toi ?

-Non pas vraiment. Il n’y avait comme pas de…

-Début, fin et péripétie …?

-En tout cas, je ne veux même pas y repenser.

Même si c’était littéralement le pire film que j’ai vu et que je ne me gênais pas pour te reprocher d’avoir réussi à me convaincre d’aller voir ton choix de film plutôt que le mien, j’étais contente de t’avoir pour moi seule pendant un court moment. Faire le plein de ton odeur pour les prochains mois sans nouvelle.

-Oh shit c’est Jen qui m’appelle…

-Réponds-lui…

-Deux minutes !

-C’est chill, je vais attendre plus loin.

C’est à ce moment-là que j’ai su que tu mentais à ta blonde. Que cette journée-là, tu n’étais pas au cinéma avec moi. J’ai cessé d’écouter ta conversation. J’étais tellement fâchée d’être ton amie dans le placard, mais je n’ai pas été capable de rien te dire. J’ai préféré te dire que c’était le temps de faire ma lessive et qu’il fallait que je parte. Je suis restée plusieurs minutes dans ma voiture à pleurer sans trop comprendre pourquoi je t’accordais tant d’importance. J’ai attendu un certain moment avant de t’envoyer littéralement balader par texto. J’étais hors de moi ! Je pensais vraiment que t’envoyer chier me ferait du bien donc je me suis gâtée. Tu as tenté de m’envoyer une photo de bébé lapin comme tu as l’habitude de faire quand je suis en colère ou que j’ai peur de mon ombre, mais rien à faire ! J’étais déterminée à gâcher ta soirée. Gâcher ton lendemain matin et même un peu ta semaine. Je ne sais pas à quoi je m’attendais après tout ça, mais sans surprise, tu m’as perçue comme une ennemie de ta relation. Tu as décidé de te défendre, me confronter, chose que tu n’avais jamais faite jusqu’ici. Tu m’as dit ce que j’avais besoin d’entendre pour me rendre compte que j’accordais beaucoup trop de valeur à notre relation. Me rendre compte que je m’étais donné un statut imaginaire basé sur des histoires que je me suis construites sans te consulter.

C’est à ce moment-là que j’ai compris que je perdais mon humain préféré, celui que je m’étais un peu imaginé...

Source image de couverture: pexel
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