Je t’ai demandé l’autre jour de faire une story avec son Instagram hassanlaramee_artofmouth, tu l’as généreusement fait et tu m’as offert d’écrire un peu son histoire et de la diffuser dans Le Cahier. Merci Camille! Je suis opportuniste! Voici l’histoire, à travers mon histoire, de mon meilleur ami tétraplégique suite à un accident de vélo. En 2022, quinze ans plus tard, Hassan est un artiste reconnu dans la communauté du Surf surtout en Colombie-Britannique et en Australie.  Il roule sa bosse, un jour à la fois.

Laissez-moi vous raconter l’histoire qui a complètement changé ma vie, mais par la bande. Une seconde, j’étais une jeune femme de 20 ans, libre comme l’air, sur le point de débuter un baccalauréat en administration des affaires à l’université de Sherbrooke; amoureuse d’Hassan, depuis un peu plus de deux ans. Il était un beau grand jeune homme de 22 ans, qui lui entamait un BAC en enseignement de l’éducation physique. Joueur de basket étoile, pompiste non pas juste de lui-même, mais également au dépanneur Crevier à Eastman. Passionné, performant dans tout ce qu’il touche : planche à neige, guitare, surf, vélo…

Aujourd’hui, je suis en couple avec mon âme sœur, un habile chaton. Je suis une mère, une infirmière clinicienne, une fermière, reconnaissante d’avoir réalisé la valeur de la vie, de l’amour, du temps passé ensemble. J’ai lu cette phrase dans un livre qu’Hassan m’a offert : l’expérience est l’essence de tout (la conspiration des Franciscains édition les intouchables 2005, p.112). Il s’agit d’une phrase bien simple, mais profondément vraie. Autrement dit, notre génétique, nos fréquentations,  notre parcours, nos choix, nos opportunités, nos obstacles, nos tragédies, notre culture, notre vie forment le caractère fondamental de ce que l’on est. La vie est cruelle, mais bon, c’est comme ça pour tout le monde à différent niveau certainement, tout est relatif.

Einstein l’a dit : la vie, c’est comme la bicyclette. Il faut avancer pour rester en équilibre.

La mort le titille depuis ce jeudi 23 juillet 2007. Dernièrement, il m’a fait rire aux larmes en me racontant la fois où, en se promenant sur le bord d’un chemin passant, dans sa chaise roulante qu’il dirige avec la force de son cou et de sa tête, il a encore pensé y passer. La chaise s’est prise dans une crevasse, a subitement tourné à gauche. Il s’est retrouvé face à face avec un fossé de 6-7 pieds en déséquilibre forçant sur son appui-tête pour ne pas continuer sa descente et se péter la face solide.

Il criait AIDEZ-MOI, personne n’arrêtait.

Au bout de quelques minutes, un camion en sens inverse s’est arrêté, le conducteur lui demande s’il magasinait des terrains parce qu’à une vingtaine de pieds à sa droite il y a une pancarte à vendre. Hassan est à bout de force, a la chienne de tomber, « what the heck », magasiner un terrain; il reconnait finalement son père et sa mère qui passaient par là qui le sortirent de là. Il faut connaître les personnages pour apprécier vraiment cette anecdote. Il y a aussi le face-à-face avec l’orignal sur l’autoroute 10 ou quand il a fait du drift en chaise roulante sur la belle glace et que ça finit le nez gravement cassé à l’urgence de Magog…! Pour illustrer la ténacité, la résilience, les Laramée sont certainement une source inépuisable d’inspiration.

2007/07/23

Lundi, 19h57 pm, sa sœur Marie-Lou m’appelle. Hassan est à l’hôpital. Elle vient de parler aux policiers. Il faut se rendre vite au CHUS, ils ont demandé s’il sautait souvent des clôtures en vélo. Il a eu un accident grave. En raccrochant, je suis figée, je suis assise sur la chaise berçante du salon chez mes parents, en serviette parce que je sors du bain, j’attendais son appel depuis un bout déjà. Mes parents sont partis marcher. J’appelle ma meilleure amie, elle dit qu’elle vient me chercher qu’on s’en va à l’hôpital. Moi, j’hésite. Je me dis que ses parents vont être là, mais Véro le voit bien que je ne raisonne plus, fin de la discussion elle sera là dans 10 minutes. Mes parents reviennent de leur marche, mon père réagit fort, il s’inquiète. 20h46 pm, assises dans la petite salle d’attente des soins intensifs chirurgicaux, je suis loin de me douter de ce qui m’attend. Les policiers demandent si quelqu’un peut ramener le Ford ranger prune  d’Hassan qui est stationné, en double, dans l’entrée du CHUS. Je me porte volontaire, je travaille le lendemain à 8h. Ils clarifient que le camion doit absolument partir rapidement, ce soir, peu importe ce qu’il pouvait arriver. J’étais dans le déni total. J’insistais que je m’en occuperais.

À 23h35 pm, je franchissais les portes battantes des soins intensifs chirurgicaux en douce.

C’était autorisé à la famille proche seulement. Je m’attendais à voir du sang, des fractures, des bouts d’os. J’avance dans le corridor et le policier me pointe la salle au fond à gauche. Hassan, inconscient, étendu sur le dos, intubé, qui convulse à chaque inspiration poussée par le respirateur. La tête me tourne, je m’accroche à la veste du policier, je sens que je vais perdre connaissance. Je lui demande ce qui se passe. Il me regarde dans les yeux, je sens tout son malaise. Il me répond qu’il doit être présent parce que la situation est critique, qu’en cas de décès il devra y avoir une enquête. Je m’apprêtais à m’effondrer quand les parents et la sœur d’Hassan sont sortis du bureau du médecin. Marie-Lou serrait son père. Sylvie, sa mère est tombée dans mes bras, secouée de sanglots, répétant que son fils allait vivre peu importe, il allait vivre.

Le pronostic était sombre, une chute sur la tête qui a probablement sectionné la moelle épinière.

Son diaphragme a spontanément été paralysé. Il n’a pas respiré pendant 6 minutes. Les médecins ont dit qu’il serait complètement paralysé, il clignerait des yeux peut-être. Ils lui donnaient 10% de chance de ne pas avoir d’atteintes au niveau cognitif. Autrement dit, il est probablement légume. Je n’ai pas descendu le pickup finalement. Après avoir appris la nouvelle, je suis allée chercher ma chum, nous sommes descendues dans le stationnement, j’ai crié ma douleur à quatre pattes à terre. Je me suis calmée. J’ai convaincu ses parents de retourner chez eux en leur disant qu’il ne se passerait pas grand-chose la nuit. Que je veillerais sur leur fils. Qu’il devait se reposer parce que les prochains jours seraient éprouvants.

2007/07/24

Vendredi, 3h22 am, je suis debout sur le bord de la civière, je prends sa main et je lui fais un portrait clair de la situation. Lui qui m’avait déjà dit «si je deviens paralysé, je prends ma carabine et je me tire une balle», j’avais presque le goût de le débrancher. Il m’a regardée droit dans les yeux. Il était paniqué. Je lui ai demandé s’il voulait vivre. Avec l’énergie du désespoir, il a cligné des yeux pour me montrer qu’il était bien accroché à la vie. Le lendemain matin, la neurochirurgienne m’entendait quand je lui disais qu’il m’avait parlé en clignant des yeux me disant qu’il voulait vivre, mais elle a aussi pété ma balloune quand elle m’a dit que les chances que ce soit une réponse émotive non contrôlée soient plus probables.

Son cœur d’athlète n’a pas manqué un seul battement avant l’intervention des ambulanciers. Il est revenu avec toute sa tête, sa détermination et son humour légendaire pour passer à travers chaque jour de la réadaptation. L’adaptation, le travail acharné ça ne lui fait pas peur. Hassan a déjoué les probabilités et a continué son chemin, en roulant lentement mais surement. Il surf la vague, un artiste engagé, inspirant, un ami pour toujours. Allez voir ce qu’il fait, ça fait du bien à l’âme.

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Image de couverture de Sarah Kilian
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