Salut, toi. On a passé pas mal de temps ensemble ces derniers jours, toi et moi. C’est vrai, tu m’as fait arrêter mon travail bien avant tout ça, tu m’as donné des crises d’angoisse à ne plus savoir quoi en faire, des insomnies intolérables et pourtant, je ne t’en ai pas voulu. Car il y avait toujours une échappatoire, le moyen de te faire passer au second plan. Tu ne pouvais pas m’atteindre, pas quand j’étais en pleine nature. Cette sensation de tranquillité qui m’habitait, tu ne pouvais la détruire. Il y a certaines choses qui résistaient à ta dictature; le soutien indéfectible de mes proches, les ridules de souci au coin des lèvres de mon compagnon.

Et puis, tout a changé, me voilà désormais en confinement avec toi, à essayer de t’apprivoiser, de te tolérer. Pour le coup, crois-moi que je ne me prive pas de te haïr pour toutes les crises de douleur, la migraine chronique et surtout… Le néant total. Je crois que ça, je ne peux pas te le pardonner. Car je ne sais pas qui tu es, je ne peux pas le savoir pour l’instant - pour combien de temps encore? Tu es là, à dicter mes journées, à façonner tous mes sujets de conversation, à me clouer dans le noir pendant des heures et je ne te connais même pas. Tu habites ma maison, mon sanctuaire, mon corps. Et tout ce que j’aimerais, c’est te cracher au visage.

femme de dos qui crache du feuSource image: Unsplash

On compose comment avec la douleur quand elle est omniprésente? Quand on est en tête-à-tête avec elle? Oh, crois-moi, j’ai tout essayé pour te faire taire, mais tu es là, lancinante, à vouloir te faire entendre, à vouloir incessamment la première place. Je te vois, tu sais. Je t’ai entendue du mieux de mes capacités, plongée dans le silence avec toi. J’ai essayé de te tolérer, de gérer tous les accès de colère que tu m’as fait faire, d’apprivoiser l’incompréhension béante qui me plonge dans des nuits sans lendemains. Je t’ai ignorée, au début; évidemment je croyais bêtement que ça fonctionnerait. Je t’ai ensevelie sous les programmes Netflix, sous la lecture et même sous le tapis pendant le ménage de printemps. Je trouvais toujours un nouveau prétexte ou un nouveau truc à réparer/changer/décorer dans la maison. Ça n’a pas été suffisant. J’ai cherché à te fuir par le sommeil, seul endroit où je pouvais être temporairement libérée. Une liberté qui avait toujours, toujours un prix. Ça a été si dur, tu sais. Ça l’est encore, de devoir partager mon quotidien avec toi, tu prends tellement de place. Mais ces dernières semaines, à l'intérieur, à rester avec toi, m’ont fait comprendre que je ne pourrai pas toujours me sauver de toi.

oeil femme taches de rousseurs et pétales de fleur jaunesSource image: Unsplash

J’ai fini par comprendre que mes dîners en amoureux qui finissent à trois, je dois les accepter, tu vois. Car il y a bel et bien une chaise pour moi, dans la lumière. Ce n’est pas facile de te regarder en face et de te faire comprendre que, moi aussi, je suis là et qu’il faut qu’on compose ensemble. Je ne sais pas si j’aurai la force pour ça, de te serrer dans mes bras. Je préfère t’inviter tranquillement à la table, ne pas m’enfuir. Ne pas te mentir.

Ça va bien aller.

Source image de couverture: Unsplash
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