« La vraie intimité se crée quand rien n’est parfait, mais que tout est vrai. » — Anonyme

Le bal masqué

Qu’est-ce qu’il y a de mal à vouloir être la meilleure version de nous-mêmes pour les autres ? Être la meilleure amie, la partenaire de rêve, l’employée parfaite, la personne qu’on remarque parmi les autres… À première vue, rien.

C’est pourtant ce simple désir insatiable de plaire qui m’a amenée à saboter la plus belle chose que deux êtres humains puissent partager : l’intimité.

Dans ce monde d’illusions où l’on est bombardé par des normes impossibles, il est facile de tomber dans le piège du perfectionnisme et du « aimer plaire». Résultat ? On fait semblant, en portant des masques—et je ne parle pas ici des filtres sur Instagram.

Chaque sourire faux, chaque « ça va » mensonger, chaque fois qu’on met de côté nos besoins ou qu’on ne dit pas ce qu’on pense, on se déconnecte un peu plus de qui on est vraiment. Ça fait peur de voir comment ces patterns finissent par s'enraciner dans notre identité, au point de devenir une seconde nature. On en vient à jouer un rôle, bien malgré nous.

La douleur coupable

Laissez-moi vous parler d’un cadeau empoisonné que j’ai caché de toutes mes forces : la dyspareunie. Une condition particulièrement cruelle pour la perfectionniste qui aime plaire que j’étais. Ce mot désigne la douleur chronique pendant les rapports sexuels, un tabou qu’on n’aborde jamais.

Quand je lui en ai parlé pour la première fois, c’est un regard plein d’empathie que m’a retournée ma gynécologue, et dans un soupir, elle m’a dit : « Ça, c’est compliqué. » Tout ce que je voulais, c’était qu’elle me guérisse sur-le-champ, parce que ce problème m’empêchait de faire ce qui filtrait toute ma manière d’être : plaire. Je n’avais pas besoin d’un diagnostic, j’avais besoin d’un miracle.

Évidemment, elle n’avait pas de baguette magique, et j’ai rejeté du revers de la main ses conseils, puisqu’ils impliquaient de mettre mon partenaire au courant.

La chose que je redoutais le plus au monde, c’était de me montrer vulnérable… ou imparfaite. J’avais honte d’avoir mal en faisant l’amour, mais surtout, c’était le rejet qui me terrifiait. Qui voudrait d’une blonde qui n’aime pas le sexe ?

Ma condition avait un puissant atout à mes yeux : elle était invisible. Ça a donc été ma porte de sortie : faire semblant. J’étais prête à endurer la douleur juste pour avoir un peu d’affection après.

Je me suis persuadée que si je pouvais satisfaire mon partenaire, peu importe le prix à payer, tout irait bien. Qui, avec un minimum de respect pour soi-même, accepterait de souffrir pour plaire ? Mon problème allait au-delà de la dyspareunie.

À force de jouer la comédie, je suis devenue une très bonne actrice. Une seule fois, un homme a perçu une craque dans mon masque. Lorsqu’il est entré en moi, ça a été comme un coup de couteau, une douleur tellement intense que mon corps s’est raidi violemment.

Il s’est immédiatement arrêté. « Oh non, je t’ai fait mal ! » Sa voix était douce, pleine de bienveillance, et je pouvais voir l’inquiétude dans ses yeux, car il avait vu la souffrance dans les miens.

Mais au lieu d’être honnête, j’ai forcé un sourire et nié. Il ne m’a pas crue. « Tu es tendue, je le sens. Je ne veux pas te faire mal… » Encore là, j’ai repoussé sa gentillesse et je l’ai prié de continuer. Sauvage, je sais. À l’intérieur, je suppliais en silence qu’il finisse rapidement.

Sauve qui peut

Les rapports douloureux répétés ont conditionné mon cerveau à redouter le sexe et tout scénario pouvant y mener. Pour moi, un homme nu était une menace imminente—un lion.

Dès que le contexte était propice à faire l’amour, mon système nerveux tombait en mode panique. Pendant les préliminaires, mon partenaire pouvait essayer de me donner du plaisir de toutes les façons imaginables, mais sans excitation, le plaisir n’était pas au rendez-vous.

Comment aurais-je pu être excitée quand je savais très bien ce qui allait suivre ? Non seulement le lion était dans la pièce, mais il mettait la table.

Plutôt que de défendre mon corps comme j’aurais dû le faire, je le livrais volontiers aux prédateurs en échange d’un peu d’amour. Pour se protéger contre cette douleur que je lui infligeais, il s’est engourdi. Pour survivre. Pour se protéger de moi.

Parfois, avec des rapports réguliers, l’inconfort se résorbait après quelques minutes, mais, comme mon corps s’était désensibilisé, je ne ressentais rien—aucun plaisir.

Le pire, ce n’était pas la douleur physique, c’était la torture émotionnelle qui venait avec. Je me sentais brisée et pensais être la seule. Chaque rapport douloureux renforçait la croyance que je n’étais pas assez. J’ai porté ce fardeau en silence pendant des années.

Arrivée à la destination finale

Heureusement, les dégâts étaient réversibles. Avec de la patience, une bonne communication et de la confiance, j’ai surmonté mes démons.

L’intimité n’est plus quelque chose que je redoute ; c’est quelque chose que je peux savourer, sans culpabilité ni honte. Mon corps n’a plus besoin de fuir, car il se sent en sécurité maintenant.

Parler de dyspareunie, c’est briser le silence autour d’un problème bien plus fréquent qu’on ne le pense. L’intimité est censée être un espace de plaisir et de connexion, pas de performance ni de douleur.

Si tu te reconnais dans mon histoire, arrête de faire semblant. Rappelle-toi que ton confort passe avant tout et que tu ne dois rien à personne en échange de leur amour. Essayer d’être parfaite et de plaire à tout le monde, c’est une recette pour le malheur.

Pour t’en sortir, il ne suffit pas seulement de consulter des professionnels, mais aussi d’apprendre à poser tes limites, même si ça signifie d’abord te les avouer à toi-même. Respecte ton corps et ce qu’il te dit. Si quelque chose te fait mal, dis-le, et n’aie pas peur de dire non quand ça ne te tente pas, parce que l'intimité ne devrait jamais être synonyme de sacrifice.

A-men

À toi, du sexe opposé, qui lit ceci : prends des notes.
Ta première mission est de faire en sorte que ta partenaire se sente assez en sécurité pour être honnête avec toi. Va au-devant et demande-lui du feedback.

Garde ceci à l’esprit : si elle n’est pas excitée, tu n’es pas invité. Embrasse-la partout sauf là, le temps qu’elle se mette dans l’ambiance et qu’elle baisse sa garde.

Et surtout, quand elle est prête, va lentement. Tu n’as peut-être jamais fait l’expérience d’avoir quelqu’un qui entre en toi, donc ne présume pas que c’est anodin—ça ne l’est pas.

S’il te plaît, sois compréhensif avec elle. Il est fort probable que ta partenaire ait eu des expériences difficiles dans le passé, même dans des moments consensuels avec des hommes qu’elle aimait et en qui elle avait confiance.

Une partie d’elle porte peut-être encore les cicatrices de moments où son confort n’était pas priorisé. Souvent, ce sont ces petits moments négligés qui laissent des marques durables.

Si elle ne se sent pas en sécurité pour s’exprimer, elle endurera la douleur en silence—et c’est là que l’intimité commence à se briser.

Jamais plus

Nous avons tous des cicatrices, mais elles ne nous définissent pas : elles façonnent celle que nous sommes censées devenir.

On pense qu’en reflétant aux autres une façade qui correspond à ce qu'on croit qu’ils attendent de nous, on se protège des jugements, du rejet, du sentiment de ne pas être à la hauteur.

Mais en agissant ainsi, on se détruit à petit feu en essayant de maintenir cette version impossible de nous-mêmes. Le pire, c’est qu’on n’est même pas conscient qu’on n’est pas authentique.

Promets-moi que c’est fini de faire semblant. Dis ce que tu penses, même si ta voix tremble, car c’est en étant vraie que tu commences à vivre, et c’est la seule façon de trouver le bonheur.

Image de couverture via Unsplash
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