Décider de partir, d’abandonner ce grand navire qui vogue comme il peut dans une tempête qui le fait osciller de tous les côtés. Qui navigue à l’aveugle dans un brouillard épais, obscurcissant l’horizon au point de ne plus voir la lumière jaillir de l’autre rive… Quand je pense à ma profession, c’est le sentiment que je ressens. Un métier pourtant si important, mais négligé… Grandement. Je suis, j’étais, éducatrice à l’enfance.

J’ai choisi de travailler en petite enfance il y a maintenant 26 ans.

Ma passion, au début à toute épreuve, me permettait de voguer doucement sur l’océan, voiles déployées. Les vagues, tantôt calmes, tantôt houleuses, demandaient à mon petit voilier de s’ajuster tout en continuant d’avancer en gardant le cap. Mes collègues matelots, m’aidant à prendre chaque tempête de front, m’ont permis de tenir fermement la barre et de foncer droit devant, pendant plus de 20 ans.

Avec le temps, j’ai dû changer de bateau.

Mon petit voilier ne convenait plus à la grosseur des vagues et des tempêtes. Les ouragans devenaient trop violents, trop fréquents, et la coque de mon grand navire commençait elle aussi à s’effriter, tout comme ma passion.

Crédit: Silas Baisch

Nous, les marins chevronnés, avons essayé de trouver de nouvelles façons pour continuer d’avancer. Mais avec les nouvelles règles de navigation, la tâche devenait de plus en plus compliquée. L’étincelle qui gardait mon cœur de matelot allumé a fini par s’estomper.

Je l’aime encore ma profession! Le paquebot est simplement devenu trop gros et il manque grandement de matelots pour le tenir à flot… Alors j’ai fait le grand saut. J’ai abandonné le bateau. J’ai pris l'embarcation de sauvetage et je navigue maintenant en solo, sur un fleuve plus tranquille, longeant le rivage.

Il y en aura encore des tempêtes.

Étant la seule capitaine de mon voilier, cette fois, je pourrai décider de les affronter ou de les contourner. Je la vois à nouveau, la lumière. Celle qui perce les nuages et qui reflète comme des diamants sur la surface de l’eau. Je sens la brise sur mon visage et je ferme les yeux, me laissant porter par ce sentiment de liberté que je cherchais depuis tant d’années…

J’ai choisi de le quitter. Mais le gros paquebot, lui, continue de tanguer au gré des marées.

Je songe à mes amis matelots, ceux qui persistent à essayer de le maintenir à flot. Je rêve qu’un jour la mer se calme et que le vent les pousse tout doucement, juste assez pour leur donner de l’élan. Qu’ils puissent recommencer à avancer et garder le cap! Que malgré les tempêtes et les ouragans, leur navire soit assez fort pour résister et suivre le chemin qu’il s’est donné. Que le brouillard se dissipe et que la lumière jaillisse! Illuminant leur cœur encore rempli de passion, leur donnant la force d’accomplir leur remarquable mission.

Crédit: Hide Obara

Déployant mes voiles, je fonce vers l’horizon. J’ai confiance qu’avec le temps, l’océan deviendra plus clément. Vogue, vogue mon petit voilier, partons explorer des lieux insoupçonnés.

Aujourd’hui j’amorce une nouvelle aventure en tant que rédactrice, mais une partie de mon cœur demeurera toujours, éducatrice.
Image de couverture d'Artem Verbo
Accueil