TRAUMAVERTISSEMENT: abus sexuel, violence, suicide. Des ressources d’aide sont listées à la fin de cet article.

Chère loi du silence,

Nous nous connaissons depuis longtemps.  Tu n’es pas rentrée dans ma vie, c’est moi qui suis rentrée dans la tienne dès ma naissance. Tu m’as enveloppée dans tes bras, te voulant rassurante. Tu t’es faufilée dans tous les recoins de mon corps, de mon cerveau et de mon âme. Encore aujourd’hui, j’ai de la difficulté à te dissocier de moi. Tu m’as rendue muette, voleuse de voix. Tu m’as rendue fragile pour mieux me contrôler.

Tu as débuté de manière insidieuse dans ma petite enfance. Nous nous promenions main dans la main en public, malgré les coups de poings, de pieds, de crachats, les dénigrements, malgré les abus sexuels sur le corps de ma sœur. Je me souviens de moi à trois ans et demi qui se questionnait. J’ai toujours su que ce n’était pas normal. Tu le savais. Tu es rentrée encore plus loin dans ma tête. Tu m’as fait croire que c’était normal, car je le méritais et que ma sœur le méritait encore plus. Tu jubilais quand tu me voyais participer à toute cette haine, cette colère, cette violence.

noir et blanc fille dépression silenceSource image: Pexels

Ta porte-parole, ma génitrice, m’a bien livré ton message, ne t’en fais pas. Elle me l’a confié. Ton ordre de se taire, je l’ai suivi à la lettre. J’ai même tenté de mettre fin à mes jours pour lui. Tu voulais non seulement ma tête, mais mon corps aussi. Je m’en suis rendue malade. Les ulcères d’estomac, les tensions musculaires, les maux de ventre, de tête, ma santé mentale… Bref tu voulais me détruire dans mon entièreté, pour me conditionner selon tes désirs. Encore aujourd’hui, je ressens les effets sur mon corps et mon âme.

Tu as planté tes sbires un peu partout sur ma ligne de vie pour me signaler mes affronts contre toi.  Je me rappelle en 5e année, où, sous ta pression, j’ai éclaté en sanglots en classe.  La professeure m’a mise à part dans une petite pièce. Je lui ai dit que ce matin là, mon père avait menacé ma sœur de la battre encore et que ce ne serait pas drôle à voir si elle ne se taisait pas. Cette personne de confiance m’a regardée et m’a dit que « c’est plate », mais elle ne pouvait rien faire en me frottant la cuisse.  Je m’en suis voulue à l’époque d’avoir trahi notre secret. Tu m’as punie avec son inaction.

Ton plan était parfait.  Même la DPJ et le pédiatre avec leurs multiples suivis n’y ont vu que du feu. Ma sœur était un enfant à problèmes. Sa crise d’adolescence et son rapport à la sexualité précoces étaient induits par une dysfonction hormonale, selon ma génitrice. Après tout, dans une famille moyenne aisée, tous les « parents » son adéquats. Est-ce que les ecchymoses sur les corps meurtris et les trous apparents sur les murs étaient bien cachés? Ou était-ce l’un de tes nombreux tours dans ton sac pour rendre des professionnels, supposément dévoués au bien-être des enfants, sourds et aveugles?

À l’adolescence, tu as mis sur ma route un homme de dix ans mon ainé. Tu savais que j’allais m’en amouracher. Je le trouvais si beau, si séduisant, si homme. Il daignait s’intéresser à moi! Chaque critique, chaque mot qui sortait de sa bouche m’écorchait à vif. Des entailles profondes se formaient à l’intérieur de moi. Des blessures invisibles à l’œil. Tu voulais me confirmer que je n’étais rien, que je n’en valais pas la peine. Je méritais ma vie. Je n’aurais jamais dû venir au monde. J’ai donné mon corps, mes parties les plus intimes. J’ai cru que le sexe règlerait tout, même quand j’étais fatiguée. Je me croyais déjà vide, mais tu continuais à me soutirer des miettes.

À 21 ans, j’ai tout quitté, quitté cette violence, quitté cette « famille » dysfonctionnelle… Mais toi tu ne m’as pas quittée. J’ai voulu t’oublier et j’ai presque réussi. J’ai même réussi à être heureuse. Je te connais, tu n’aimais pas me voir ainsi. Tu ne le supportais pas. Une chance pour toi, un cancer agressif est venu chercher ma génitrice. Tu en as profité pour m’enrouler dans tes tentacules encore une fois. Encore une fois, je t’ai cédé. Ils étaient ma « famille » après tout.

Au bout de quatre ans, mes yeux se sont ouverts. Ouverts sur ta dégueulasserie, ta perversion. Ouverts sur ton emprise qui s’étale sur des générations. Tu as réussi à rendre banale la maltraitance et les abus sexuels et autre. Tu es laide, affreuse. Tu es hypocrite. Tu es pleine de fausses promesses. Je détruis les murs que tu as érigés entre moi et le monde. Le sentiment de sécurité que tu procures n’est qu’illusion. Tu es une merde. Cette fois-ci, je te quitte pour de bon. Je me reconstruis peu à peu. Je recolle les morceaux, j’en fabrique de nouveaux pour remplacer ceux que je te laisse, je ne suis pas ingrate tout de même.

femme lac eau coucher du soleil paysageSource image: Pexels

Aujourd’hui, c’est moi qui suis aux anges chère loi du silence, alors que toi tu te perds dans la noirceur. Est-ce que tu as vu les nouvelles, les mouvements sur les réseaux sociaux? Est-ce que tu les entends? Nous, tes victimes, ne veulent plus de toi. C’est vrai, tu as des partisans qui tentent de nous faire taire. La différence maintenant est que nous sommes plus qu’un.e à nous soulever, à crier notre rage contre toi. C’est à notre tour de te faire sentir petite, de te faire sentir obsolète, de te faire comprendre que tu n’es rien. Nous reprenons le contrôle de nos têtes et de nos corps.

Dégage, tu n’as plus ta place nulle part, tu n’as plus ta place dans nos vies, ni dans MA vie.

Adieu chère loi du silence.

PS : À tous ceux et celles victimes d’abus, de maltraitance, je vous crois.

Si vous vous trouvez dans une situation semblable, ou avez un proche qui semble avoir besoin d’aide, n’hésitez surtout pas à aller chercher du soutien. Voici une liste de ressources qui sauront vous épauler.

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