Série de textes pour la semaine de prévention du suicide - 30 janvier au 5 février

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Traumavertissement : Mention de suicide

En juillet dernier, alors que j'épluchais le fin fond de l'Internet pour nous dénicher notre prochaine maison, mon conjoint a reçu un message de son frère. À ce jour, je ne sais pas ce que celui-ci a dit. Anaëlle (nom fictif que j'utiliserai pour garder l'anonymat), ma nièce, 13 ans, vient chez nous demain. Elle ne doit pas être laissée seule. Elle a fait une tentative de suicide.

Par pur hasard, ou peut-être pas, au moment où j'écris cette dernière ligne, la chanson L'enfer de Stromae se met à jouer.

Et si je comptais combien on est ; beaucoup.

Beaucoup, en effet.

En cette semaine de la prévention du suicide, j’ai décidé de décrire une vision qui, à mon avis, manquait à la place publique et est plutôt absente des médias : les répercussions de ce tsunami qu’est le suicide.

Dans cette série de textes en 7 temps, je vous raconterai les 7 perspectives d'un même événement, dont celle d'Anaëlle. Voici la mienne.

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Complètement hors de mes habitudes, je me lève tôt ce matin-là. Six heures du matin, c'est super tôt pour moi, qui n'ai pas d'enfant ou d'animal. Mon conjoint et moi allons déjeuner avec Anaëlle. 

La serveuse nous reconnaît. Elle ne sait pas que la nuit passée, Anaëlle était à l'hôpital. Que malgré sa peine, elle sourit au compliment sur ses cheveux.

Nous arrivons à la maison et j'essaie de ne pas sauter sur la première occasion que j'ai de poser des questions. J'ai peur qu'elle ne se referme sur elle-même et de perdre cette occasion à jamais. Je me mords les lèvres pour ne pas la bombarder.

Je finis par tâter le terrain par quelques questions, auxquelles elle répond plutôt timidement. Comme une ado typique ; par des oui ou des non, sans plus de développement.

Je me retiens de toutes mes forces pour ne pas insister. Je laisse aller les silences, me disant que ça lui laissera l'espace pour parler, si elle le veut bien.

En 2017, ma sœur s'est suicidée. À l'âge de 16 ans, j'ai également fait une tentative de suicide. Par ce contexte, j'ai senti que mon conjoint s'appuyait sur moi pour entamer la discussion avec Anaëlle. Je voulais savoir pourquoi. Pourquoi elle a posé ce geste et qu'est-ce qui l'a mené là. Sa réponse ; plein de choses. J'avais l'impression de défaire un oignon. Il y avait tellement de couches de raisons.

Jusqu'à ce que je lui demande s'il y avait autre chose. Elle de me répondre que oui, mais qu'elle n'est pas prête à en parler.  Je me sentais impuissante.

Après cette série de questions-réponses, j'ai fini par lui dire :

Je veux que tu saches quelque chose de très important ; tu fais une différence et tu es importante. Le jour où j'ai fait ma tentative suicide, et même le lendemain, j'ai pensé que ça n'allait rien changer si je n'étais là. Aujourd'hui, je suis là pour te dire que ce n'est pas vrai. Ça aurait été la fin du monde si tu étais partie, pour tout le monde. La fin du monde.

On a fait en sorte qu'elle puisse nous appeler à tout moment, même la nuit.

La première semaine, je n'ai presque pas dormi. J'ai été en communication avec elle à plusieurs reprises pour m'assurer qu'elle allait bien et qu'elle ne ferait pas une autre tentative.

Tous les jours, je discutais avec sa mère. Anaëlle et la famille ont également été suivis par une travailleuse sociale. J'ai dû me résoudre à demander de l'aide de ma psychologue. Je dis me résoudre, parce que je pensais que je pourrais passer au travers sans. Mais j'en prenais trop sur mes épaules et je devenais agressive.

Aujourd'hui, j'ai l'impression que ce n'est pas un combat gagné et qui ne le sera jamais. Je vais toujours avoir peur pour elle. Peur qu'il soit trop tard. Peur qu'on enlève le mot tentative dans tentative de suicide.

Source de l'image de couverture : Unsplash
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