Série de textes pour la semaine de prévention du suicide - 30 janvier au 5 février

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Traumavertissement : Mention de suicide

En cette semaine de la prévention du suicide, j’ai décidé de décrire une vision qui, à mon avis, manquait à la place publique et est plutôt absente des médias : les répercussions de ce tsunami qu’est le suicide.

Dans cette série de textes en 7 temps, je vous raconterai les 7 perspectives d'un même événement, dont celle d'Anaëlle. Voici celle de la mère d'Anaëlle.

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La semaine s’annonçait calme et ordinaire, comme toutes les dernières. On revenait de vacances! On avait loué un chalet et ça avait fait du bien. J'étais loin de me douter que cette semaine allait changer tout le reste de ma vie. 

Lundi matin, Anaëlle décide de participer à un programme d’activités d'une durée d'une semaine. Enfin, elle pourra voir du monde, échanger avec des jeunes de son âge et faire des activités qu’elle aime. Ça va lui faire du bien.

Je la dépose donc pour sa première journée et je pars travailler. 

Retour du travail, elle me mentionne qu'elle ne sait pas si elle veut y retourner pour le reste de la semaine. Trop de monde, trop de bruits, trop de stimulus. Elle qui a toujours été hypersensible et ça en est rendu à un point assez extrême. Je la laisse discuter avec son instructeur et il propose finalement de la changer de groupe. Après réflexion, elle prend la décision de ne pas y retourner.

Mercredi, on soupe tous ensemble. On commence à écouter le film Le guide de la famille parfaite. On finit de souper, Anaëlle et sa sœur (Chloé) s’en vont dans leurs chambres respectives, alors que mon conjoint (Mathieu) et moi terminons d’écouter le film. Puis, presqu'à la fin du film, je reçois un message sur Messenger. Angèle, une amie d'Anaëlle, écrit qu'elle est inquiète pour elle et qu'elle aimerait que j'aille la voir immédiatement. Ce que je fais.

J’ouvre la porte, elle me regarde et me demande si j'ai parlé à Angèle. Je réponds que oui et lui demande ce qui se passe. Elle me répond qu'elle a pris plus que la dose d'Advil recommandé. Une vingtaine environ. 

Mon réflexe militaire prend le dessus. Pas de panique, il y a une situation à gérer. Je lui dis de rester dans sa chambre et je vais voir Mathieu afin de lui faire un compte rendu de la situation. On pense à appeler Info-Santé. Puis on décide d'appeler une ambulance. 

Je remonte voir Anaëlle, Mathieu sur mes talons. Je m’arrête à la chambre de Chloé et lui dis de ne pas paniquer, mais qu'une ambulance s'en vient chercher sa soeur parce qu'elle a avalé des médicaments. Je lui ai dit la vérité. Elle se met à pleurer. Mathieu reste avec elle alors que je retourne veiller sur sa soeur. 

L’ambulance arrive et nous prenons la direction de l’hôpital. COVID oblige, je prends mon véhicule et les rejoins là-bas. On nous installe dans une salle vide, contenant seulement un lit. Les salles spécialisées pour ce genre de cas. Impossible d'aller aux toilettes, il faut utiliser la chaise d’aisance.

Après un moment, le médecin vient nous voir. Il nous indique qu'il devra faire des tests, mais que selon lui, elle ne risque rien sauf un mal à l'estomac, comme elle n'a avalé que des Advils. Cependant, la situation aurait été différente si elle avait ingéré des Tylenols. 

Comment un médecin peut-il dire une chose pareille à une personne suicidaire? Aussi bien lui spécifier combien elle doit en prendre aussi, ça lui sauvera du temps! 

Les analyses confirment qu'il s'agit bel et bien d'Advils. Pas besoin d’hospitalisation, on nous retourne à la maison pour la nuit en nous planifiant une rencontre au centre de crise, le lendemain matin.

Ne pas dormir de la nuit. Imaginer se lever le lendemain et la retrouver sans vie dans son lit, parce qu’elle aura réessayé. Mon mari l’a accompagnée à son rendez-vous au centre de crise le lendemain. Ils n'ont pas jugé nécessaire de la garder à l’hôpital. Ils planifient seulement un suivi avec le CAFE (Crise-Ado-Famille-Enfance) du CLSC. Dans l’heure, la nouvelle intervenante était chez nous. 

Elle nous donne plusieurs consignes : on ne doit pas la laisser seule et on doit cacher ou mettre sous clef tout ce qui peut être dangereux. Savez-vous à quel point il y en a, des choses dangereuses dans une maison? Médicaments, couteaux de cuisine, matériaux de bricolage, alcool et j'en passe. En fait, rien n’est sécuritaire dans une maison. Réorganisation de nos horaires de travail, trouver une personne qui peut rester avec elle pour les moments où nous ne pouvons pas être à la maison. 

Deux jours plus tard, je reçois un autre message, de son chum cette fois, qui me dit sensiblement la même chose que son amie Angèle. 

Je me rends dans la chambre d'Anaëlle et la retrouve en boule dans son lit, en pleurs, sans être capable d’émettre un son. Elle refuse de se faire toucher et elle refuse de parler. Je me couche à côté d’elle et j’attends. J’attends, j’attends. Elle n’a rien pris, n’a rien fait, mais elle a mal. Mal de quoi et mal pourquoi? Je n’en sais rien.

Nous organisons une série de rencontres hebdomadaires avec l’intervenante. Anaëlle parle un peu de ce qu’elle vit et comment elle se sent, mais sans jamais vouloir mentionner le déclencheur. Mais on sait qu'elle en a parlé à quelqu’un, un autre adulte, qui lui, peut lui venir en aide.

À ce jour, on ne sait toujours pas qui est cet adulte et ce qu'est le déclencheur. 

Je me suis mise à me demander ce que j'avais manqué, ce que je n'avais pas vu. Je me disais que j'étais une mauvaise mère. Est-ce que j’aurais dû voir son refus d’aller au camp comme un signe de détresse? Depuis le début de la pandémie, elle s'est un peu renfermée sur elle-même. Je n'y voyais donc pas quelque chose d’alarmant.

La première chose que l'intervenante a cru bonne de spécifier, c'est que ce n'était pas de notre faute. C’est si difficile de se le rentrer dans la tête. 

Avant l’arrivée de l’ambulance, ma fille m’a demandé si elle pouvait apporter certaines choses à l’hôpital, comme un livre, son chargeur, etc. Je lui ai dit que oui, de mettre ça dans son sac. C'est là que je me rends compte que son sac est déjà prêt. Elle y avait mis des vêtements, son livre, son chargeur et autres petites choses. Elle avait tout planifié. Ce n’était pas un coup de tête. C’était préparé. Et je n’avais rien vu. Ça semble si facile à déceler quand on regarde un film, mais la réalité est tout autre. 

J’ai été des jours, voire des semaines, à ne pas dormir, ou très peu, de peur de manquer quelque chose. De peur de me réveiller un matin et qu’elle ne soit plus là.

Mon médecin m’a finalement prescrit un médicament pour me permettre de souffler un peu. Anaëlle a des outils, elle sait à qui parler lorsque ça ne va pas. Elle sait aussi qu’elle peut nous parler à nous et aux gens autour d’elle, mais tout ça demeure tellement fragile. C'est qu'elle le cache très bien. Trop bien.

Elle semble bien aller puis, tout d'un coup, tout éclate! Crise de larmes, rien ne va, elle se sent moche, elle se sent différente, elle ne comprend pas pourquoi elle se sent aussi mal. Elle dit ne pas avoir droit au bonheur, qu’elle se doit d'être malheureuse, puis elle tombe. On le sait rarement, sauf si elle craque et ose en parler.

Lorsque ça arrive, je me sens tellement impuissante face à elle. J'aimerais qu’elle se confie à moi, mais je sais que je suis sa mère et que rares sont les enfants qui se confient à leurs parents. Elle porte à merveille le masque de la bonne humeur et de la dissimulation. Celui derrière lequel se cache sa grande souffrance et son mal-être.

Depuis ce jour-là, j’ai l’impression d’être debout sur le bord d’un précipice.

Parfois, j'arrive à ne pas y penser pendant un moment. Tout semble bien aller ; on rit, on joue, on parle, on a du fun! Puis, tout à coup un oui, mais si passe dans ma tête et me retiens par un fil invisible sur le bord de ce trou sans fond. Je dois, de mon côté, apprendre à vivre avec tout ça et à faire confiance, pour pouvoir passer par-dessus. 

Source de l'image de couverture : Unsplash
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