C’est une œuvre qui commence doucement, sans un soubresaut. Les interprètes sont assis, dos au public. Des matelas et des vêtements gisent, épars, autour d’eux. Le public est en attente, d’un mouvement, un souffle, un bruit. Mais il n’y a que le feu qui crépite doucement pour remplir le silence. C’est un drôle de spectacle, le cerveau s’active, forcément, cherche un sens. Qu’est-ce que cela veut dire, de regarder des corps ne rien faire (ou presque)? Et puis, on se met à penser que dans la dévastation, dans l’immanence de la mort, devant l’échec monumental qu’a commis l’humanité vis-à-vis les espèces vivantes et les peuples des Premières Nations, il ne reste pas grand-chose d’autre à faire qu’attendre.

Et donc on attend.

Lentement, les mouvements viennent à eux, ces deux vagabonds, peut-être les derniers humains au monde, pour ce qu’on en sait. Car autour, c’est la désolation, un bric-à-brac d’objets dépareillés, des jouets sans utilité pour les deux hommes, des couvertures aux couleurs criardes comme un affront au voile d’ombre qu’ils ont dans les yeux. Ils ouvrent leur souffrance sur scène, éventrent et déchiquettent des matelas, ne laissant que des lambeaux recrachés, des corps incongrus, troués, transpercés, remplis puis vidés.

C’est chacun pour soi dans Windigo jusqu’à la toute fin, où se dessine un semblant de réconciliation, une petite accalmie dans laquelle se construire un abri et se tenir fort, le temps que la tempête passe. Et pourtant, c’est déjà trop tard : le saccage aura été trop bien orchestré, on aura ouvert les yeux trop tard.

Dans ce no man’s land postapocalyptique, Lara Kramer tisse un portrait fort et cru des ravages du capitalisme et du colonialisme.

La chorégraphe et artiste multidisciplinaire d’origine ojie-crie et mennonite partage la narration de l’œuvre avec son enfant. Leurs voix se répondent, légères, alors que les interprètes Peter James et Jassem Hindi exposent leurs blessures et se débattent sur scène dans un dernier espoir de survie.

Windigo met en scène l’avènement d’un avenir mort-né, le bafouage des corps et du territoire comme s’ils n’étaient qu’une seule et même entité, les contours d’une éthique du care qui pourrait bien nous sauver tous.tes.

Jusqu’au 10 février au Théâtre Espace Libre, Lara Kramer présente une rétrospective de son travail sous la forme d’un programme double, composé de Windigo et Them Voices, une autre création de l’artiste qui « explore la relation entre corps et mémoire, faisant appel aux notions de performance, de critique sociale et de résistance culturelle pour mieux évaluer les conséquences de nos actions sur les générations à venir. »

Image de couverture via Théâtre Espace Libre
Accueil