On parle souvent de l’importance de capter l’instant présent. À l’aube des vacances, on va se dire : « Profites-en! ». Et par moments on se demande tous ce que ça signifie vraiment. Comment on fait ça « en profiter »? Et pourquoi on attend les vacances d’été pour en parler?
Personnellement, j’en viens à me demander si ce n’est pas un concept inventé juste parce qu’on a perdu la faculté de savourer, de se délecter des affaires banales du quotidien. L’instant présent, c’est un dossier à considérer même à travers la routine. Surtout à travers la routine!
On a l’impression que le temps nous échappe complètement. On l’attend sous le pas de la porte le vendredi soir et on le regrette le dimanche. Et s’il pouvait s’étirer un peu plus longtemps? Et si on le prenait, le temps?
On met chaque chose dans des cases, chaque moment a son temps et quand ça déroge et que les cases bougent, on a un groupe de mots pour l’exprimer : on est stressé. Et puis quand tout ça retombe autour d’une bière ou deux ou trois, qu’on est pris par des élans philosophiques, on jase de moment présent. C’est unanime comment c’est important. Mais en s’y intéressant, on s’aperçoit à quel point c’est flou et abstrait. Parce que le moment présent , lui, on l’a pas planifié alors on a oublié qu’il existait.
On manque de groupes de mots pour le caractériser celui-là. C’est peut-être parce qu’il ne s’explique pas. Parce que l’instant présent ne se raconte pas, parce qu’il existe seulement dans le ici et maintenant.
L’instant présent ne se définit pas, pas plus qu’il ne se partage puisque c’est une affaire personnelle. Ça relève du « senti », des perceptions. Avant de s’en absorber on pense trop souvent à le propager. On en oublie l’essentiel, que le moment présent ne se partage véritablement qu’avec les gens qui sont dans le même espace-temps.
Avant d’être une fonctionnalité Facebook, « partager » c’était quelque chose qui se faisait en live. Partager tes stories sur Instagram, c’est illusoire parce que la moitié du monde entier s’en contrefiche. Et l’instant que tu prends pour publier ta photo, t’es déjà rendue ailleurs. Quelques secondes suffisent pour te projeter, pour t’éclipser du moment. C’est vrai que ce n’est pas la fin du monde, quelques secondes, mais les moments les plus délectables ne sont jamais ceux qui durent indéfiniment : un sourire, un bonjour, un regard, un baiser… Des faits vécus rapportent même que ces petits gestes ont sauvé des vies.
Simone de Beauvoir disait en 1967 : « Ça ne rapproche pas, le téléphone, ça confirme les distances ». Bien que j’y trouve une grande utilité à mon téléphone et que je ne puisse pas m’en passer, ça fait réfléchir.
Et si on essayait plus souvent de la restreindre cette distance? Et si on se rapprochait à la place? Peut-être que l’instant présent perdrait en popularité parce qu’enfin il se vivrait, il s’incarnerait dans un temps nouveau. Pas celui qu’on est rendu bien bon pour perdre, mais ce vrai temps. Au présent.
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