Cher inconnu,
Oui, toi qui es arrivé dans ma vie il y a deux ans. Tu t'es immiscé doucement, sournoisement. Tu as frappé à ma porte et est entré sans vraiment me laisser te souhaiter la bienvenue. Tranquillement, tu as pris une grande place, tu t'es installé dans mon corps et a décidé de faire partie de ma famille, de mon entourage, de mon quotidien. Puis, je me suis dit, tant qu'à subir ton intrusion, aussi bien essayer d'apprendre à te connaître. Je ne sais plus combien de fois je t'ai demandé de te nommer, mais tu n'as jamais acquiescé.
Évidemment, j'ai essayé de te chasser, de te faire souffrir autant que tu me faisais souffrir, de te rendre la monnaie de ta pièce. J'ai même été tenté de te laisser m'envahir, d'abdiquer. Comprend-moi bien, ce n'est pas tant ta présence qui me gêne que le fait que tu ne te présentes pas. Tu te pointes, sans t'annoncer, et en plus tu ne veux même pas te nommer. Enlever ton masque de douleur, de fatigue, d'incertitude. Malgré tout, on s'apprivoise, on valse ensemble, on pleure ensemble, on arrive même à se conforter, mais jamais je ne peux t'appeler par ton petit nom.
Pendant ce temps, les médecins se lancent la balle, se disent à bout de ressources et me font croire que tu n'es pas si impoli, que je suis rabat-joie de chercher à te connaître si intimement. Je parle de toi à mes proches, mais pour eux, tu es comme un ami imaginaire ... Ce serait tellement plus simple si tu étais une jambe cassée, elle, tout le monde connait son apparence et elle se nomme dès son arrivée.
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Tu es comme un admirateur secret ... tu envoies des fleurs noires, mais je ne peux pas te remercier, te connaître et décider si je partage tes sentiments puisque ton identité m'échappe. Jamais je ne peux te présenter pour t'insérer dans mon cercle d'intimité, pour que tu aies ton identité propre dans ma vie. Ton admiration secrète est lourde à porter.
En attendant de réellement te faire face, j'ai dû apprendre à devenir une autre femme, une autre mère, une autre petite amie, une autre fille, sœur, amie, connaissance. J'ai dû mettre ma carrière sur pause et regarder à distance mes travaux avancer dans un métier que j'aime tant. Mais, le plus difficile c'est de voir le regard des autres changer, de voir dans les yeux de ma famille, de mes amis, l'impuissance, la peur et l'incompréhension.
Le jour où je connais ton nom, tes origines, tes aspirations, ton caractère, je pourrai mieux t'apprivoiser, te prendre dans mes bras et t'accepter tel que tu es. Certes, pour des milliers de raisons dont tu te doutes, j'aurai sûrement envie de te voir partir, mais jamais sans faire la paix avec toi. Et si notre liaison est destinée à une union à vie, sache que je ferai tout pour que notre route soit parsemée de simplicité, d'authenticité, de moments magiques et d'amour. Mes proches sont tes proches.
En attendant la levée du rideau, le jour où tu me dévoileras ton identité, où tu oseras me regarder en face, je garde espoir et je me promets une chose choisie, continuer de faire confiance à la vie. Elle, dès la première seconde, elle se montre sous son vrai jour, elle te fait tout de suite voir ce qu'il y a plus beau, de vrai et surtout, elle a un nom! Un nom rempli d'espoir.
(Ceci est une tentative d'exutoire, un effort de libération. Loin d'être une quête de pitié, c'est un appel à l'espoir pour tous ceux qui, comme moi, côtoient l'inconnu.)