Il y a plusieurs années, ma fille, comme tous les enfants de son âge, faisait son entrée à la maternelle.

Quelques années plus tard, c’était au tour de ses frères. Tout parent qui traverse cette expérience comprend cette pression dans la poitrine, ce serrement dans la gorge, ces larmes retenues (ou non !) qui viennent avec cet épisode important dans la vie de son enfant.

Plusieurs décennies plus tard, c'est un peu le même triste manège que l’on revit, quand vient le temps d’accompagner un parent dans sa nouvelle demeure, une résidence de soins intermédiaires ou de longue durée, selon les besoins.

La veille

Comment fermer l’œil à quelques heures de vivre cette nouvelle rentrée, pour revivre, comme tant d’années passées, cet autre parcours avec un de ses parents ? Difficilement. On survit la nuit malgré un sommeil entrecoupé de cauchemars, de périodes d’insomnie, d’interminables et longues minutes de questionnements.

Pourquoi ce malaise, cette angoisse mêlée à une tristesse nous empoignent de la sorte ?

Un sentiment de culpabilité nous assaille assurément et nous empêche de nourrir la bienveillance avec laquelle nous posons cet ultime geste d’amour, empreint de tant d’humanité. En perte d’autonomie et de facultés cognitives, la résidence qui a bercé une maman sous un toit aimant et rassurant, entourée des siens et de tant d’amour, peut devenir jusqu’à un certain point une menace à sa sécurité et à son intégrité. Quand ce moment se présente, bien que le cœur résiste à la fatalité, l’incertitude s’estompe peu à peu. On se rend alors à l’évidence. La décision s’impose d’elle-même.

C’est l’heure de reconduire sa maman vers un ailleurs totalement inconnu, mais que l’on sait plus sécuritaire.

L’arrivée

Le jour de la rentrée, d’un pas mal assuré, on s’engage dans l’antre des aînés, là où, le sourire rayonnant du personnel soignant nous accueille, comme des membres de leur grande famille et non comme de simples visiteurs. Cette entrée se fait rassurante, plus douce que prévu. C’est le moment de visiter les lieux, d’explorer l’autre demeure, de scruter la vie qui débute pour ma chère maman.

C’est l’esprit ouvert et le cœur un peu à la dérive qu’on se familiarise avec les façons de faire, des heures de repas et de tout ce qui définira, à partir de maintenant, un tout nouveau quotidien pour elle et pour nous. Mes mains tremblent tout de même légèrement. Tout mon être tente de rester en contrôle pour le bien de ma maman que j’accompagne.

Dans ces premiers instants, je suis à la fois rassurée et troublée. Je suis attentive à ma maman et mes yeux ne quittent pas les siens. Elle me fixe comme un animal traqué, figé, comme une louve sans sa meute. Je lui prends la main et lui souris tendrement. Nous revivons en quelque sorte une parcelle du passé. Les rôles sont désormais inversés.

Aujourd’hui c'est moi qui la conduis vers sa nouvelle rentrée tout comme ce premier jour où elle m’a conduite aux portes de la maternelle. Un nouveau passage obligé s’ouvre devant elle, mais aussi devant moi.

Les lendemains

Les visites, dans cet habitat qu’on apprivoise tranquillement, chacun à notre rythme, se font régulières. On veut maintenir le contact familier et chaleureux aussi longtemps que possible. On veut continuer à vivre le plus naturellement possible. On veut voir son parent autant que possible. Ne plus vivre au quotidien sans la présence accoutumée d’un parent, avec qui on a vécu dans un environnement enveloppant toute notre vie, est un bouleversement en soi.

C’est un déchirement qu’on doit panser, soigner, guérir.

Un jour à la fois, le cœur s’adapte au vide, à l’absence, à la différence. Une période d’adaptation s’installe inévitablement. Toutes ces nouveautés auxquelles on est confronté, même bien préparés, amènent, par moment, des instants de panique passagère.

Une phase d’acceptation est nécessaire pour s’ouvrir à un quotidien changé à jamais. Ce n’est pas tout sombre, tout gris. Au cœur du désespoir réside la résilience nécessaire qui nous propulse et nous aide à traverser cette ultime étape. La tristesse fait doucement place à l’abandon, à l’abnégation. Le sourire revient.

Comment bien vivre ce passage obligé ?

Avec la certitude au plus profond de son âme que la décision que l’on a prise est la bonne. Parce que c’était la seule option qui restait. Parce que c’était l’unique avenue qui nous était proposée. Parce que c’était la voie qui se dressait avec une fermeté sensée.

Parce que les oiseaux ne se cachent pas pour mourir, mais bien pour mieux se dépouiller, pour mieux s’envoler, pour mieux renaître.
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