Il était une fois, par une froide nuit d’hiver, une femme.
Qui est-elle? Que fait-elle à une heure si tardive? Les lumières de la ville scintillent sur sa belle robe argentée. Elle ne porte pas de manteau et pourtant l’air est glacial.
Elle attend sur le trottoir et ne cesse de regarder de chaque côté de la rue. Un taxi s’arrête devant elle. Un bel homme en complet noir en descend. Ils s’embrassent. L’image du couple parfait est féérique dans ce décor de neige.
-J’ai tout fait pour arriver avant toi, lui dit l’homme.
-Perdu.
Ils se tournent vers l’immeuble qui leur fait face. Des colonnes s’élèvent, décorées de luminaires blancs. Les portes de bois vernis luisent sous cette lumière, attendant de dévoiler les splendeurs qui se cachent derrière.
-Encore un autre, soupire l’homme.
-Ne fais pas le bébé, dit la femme.
-Ça ne serait pas amusant de faire un voyage juste tous les deux sans le travail pour tout gâcher?
-Oui. Après Noël, pourquoi pas?
-J’ai soudain plus de motivation.
Il donne un léger baiser sur la joue de sa compagne.
Ils pénètrent dans le palace. Les voilà dans un magnifique hall d’où ils peuvent entendre des échos de conversations qui leur parviennent du deuxième étage. Ils montent les marches avec une toute nouvelle attitude. L’homme, d’un naturel si joueur, paraît alors sage et posé. La femme, d’apparence plus sévère, adopte soudain un air plus doux et candide. Leur travail peut débuter.
Comme convenu, ils n’ont pas de places assigées à la même table. Ils se séparent. L’homme se dirige dans le fond de la salle, non sans saluer plusieurs personnes.
-Marc! Quelle joie de vous voir parmi nous, lui dit un homme en lui serrant la main.
-C’est toujours un plaisir Thomas.
Tout en discutant, il ne peut s’empêcher de jeter quelques coups d’oeil à son amie. Celle-ci s’est déjà familiarisée avec ses voisins de table. Elle rit aux blagues des hommes et complimente les tenues des femmes. Elle est très douée, comme d’habitude.
-C’est une belle fête de Noël vous ne trouvez pas? Le décor est enchanteur, s’extasie une dame.
En effet, le personnel avait voulu faire grande impression. La salle, toute décorée de blanc, donnait l’impression d’être nichée dans un château de glace. Les centres de tables et les couverts transparents, des glaçons pendant du plafond, tout était destiné à faire rêver les convives.
-Comment vous appelez-vous très chère?
-Marie.
-Vous êtes ici avec quelqu’un?
-Je ne suis là que parce qu’on me l’a demandé.
Marie attarde un instant son regard sur son compagnon. Tout semble bien se passer. Il déambule maintenant d’une table à l’autre, en saluant tout le monde. Quelques femmes le retiennent plus que de raison, complètement en admiration.
Il est temps pour elle de s’activer. Elle s’excuse auprès de sa voisine et commence sa tournée. Elle se présente, fait la conversation, souhaite «Joyeux Noël» à qui veut l’entendre. Elle se retrouve face à un vieillard assis, seul, dans son coin.
-Bonsoir Basil, dit Marie. C’est une magnifique soirée. Vous devriez en profiter.
-Fichez-moi la paix, dit Basil.
Marie ne s’en formalise pas. Elle lui prend plutôt le bras puis le regarde droit dans les yeux.
-Noël n’a jamais été une période agréable pour vous. Ces nuits froides avec votre mère qui n’avait pas d’argent pour vous offrir de cadeaux. La nourriture qui se faisait rare à votre table.
-Qu’est-ce que vous me voulez à la fin?
Les yeux de Marie se font plus brillants, hypnotisants.
-Vous étiez triste. Seul. Mais ce n’était pas de la faute de votre mère. Elle a tout fait pour vous donner la meilleure vie possible. Elle vous aimait.
-Elle m’aimait, répète Basil, perdu dans ses souvenirs.
-Très fort.
-Ça ne l’a pas empêchée de rejoindre un homme le jour de son accident. Elle devait rester à la maison pour s’occuper de moi.
-Ce n’est pas exactement ce qui s’est passé Basil, dit Marie.
Elle tendit sa main au vieillard.
Au loin, Marc les observe. Il les voit quitter la salle. Tout juste une minute plus tard, les voilà de retour. Une lueur de panique apparaît maintenant dans le regard de Basil. Puis, le vieil homme se met soudain à pleurer. C’est ce qui arrive à chaque fois. Sans un mot, Marie le quitte et se dirige vers son compagnon. Il ne dit mot. Il doit prendre la relève. Encore une fois, Basil se laisse entraîner et quitte la pièce.
Marie s’est installée à sa table pour déguster un verre de champagne. Quelque cinq minutes plus tard, Marc est à ses côtés.
-C’était facile. Il n’a même pas protesté.
-Avec moi, si, dit Marie.
-Michel doit encore lui parler. Aussitôt qu’il arrive nous pourrons partir.
Un adolescent apparaît soudainement à la table du couple.
-Très beau travail les amis. Comme d’habitude.
-Enfin! s’exclame Marc.
-Toujours si peu patient Présent, sourit le garçon.
-Michel! le réprimande Marie. Il s’appelle Marc.
-Allons, Passé, tu sais aussi bien que moi que je déteste ces noms dont on nous a affublés.
-Eh bien vas-y, Futur, fais ton travail, soupire Marie, et n’oublie pas d’avertir toute la salle en même temps.
Futur lui fait une grimace puis se décide à rejoindre Basil. Ce dernier le voit arriver. Il le suit sans histoire. Ils reviennent très peu de temps après. Futur gambade vers Marc et Marie, le sourire aux lèvres.
-Je crois que le message est passé, lance Futur.
Basil les regarde une dernière fois de l’autre bout de la salle. Il les salue d’un geste qui pourrait passer pour un remerciement.
-Il a compris, dit Futur satisfait. Mission accomplie.
Sans plus de cérémonie, Futur les quitte. Ces soirées de vieux sont tellement ennuyantes.
-Allons-y, dit Marie.
Le couple quitte la salle. Dehors, le froid se fait moins intense et la neige tombe à gros flocons. Main dans la main, Passé et Présent s’enfoncent dans la tempête, sans un regard en arrière.
Et c’est ainsi que l’histoire se termine. Car, voyez-vous, le passé et le présent ne peuvent aller l’un sans l’autre. Ils travaillent ensemble. Inutile d’imaginer ce que l’avenir réserve, les possibilités sont infinies. Mais si l’on accepte notre passé, nous apprécions et profitons alors mieux du présent.
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