Je ne traverse plus sur les feux rouges.
Je me déplace à pied, on s’entend, mais, depuis quelques semaines, plus jamais je me faufile subrepticement sur une rouge. Même s’il n’y a pas un chat à des milles à la ronde, même s’il est minuit et que la ville dort, même quand des balles de foin passent lentement devant moi et que j’entends au loin le bruit des criquets.
Moi, j’attends ma verte.
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Ouais, bon, la vérité c’est que je me suis prise une contravention pour avoir commis l’abject acte de traverser sous l’incandescence d’une lumière rouge et que, depuis, j’ai statué que je n’avais pas vraiment les moyens de me payer un peu de nonchalance et d’essuyer une amende de 60 dollars.
Alors maintenant, je suis celle qui se la joue bonne élève sur le coin de la rue et qui regarde les autres filer leur chemin, attendant la bonne couleur qui me donnera le droit de continuer ma route.
Tout ça pour vous dire que chaque jour qui passe m’offre désormais de précieuses minutes de pure contemplation. On ne se doute pas de l’infinité de temps que la vie nous offre pour méditer sur le monde lorsqu’on attend chacun à nos feux rouges.
Toujours est-il qu’hier après-midi, coin Beaubien et Christophe-Colomb, je suis postée sur mon bout de trottoir à vivre pleinement le temps qui attend lorsque mon attention est attirée vers une voiture qui s’arrête sur le bord de la route de manière assez prompte. Je regarde un homme sortir son bras par la fenêtre de son véhicule et balancer dans la rue ce qui me semble être l’équivalent de toute une vie de cigarettes. Puis dans un bruit de pneus assourdissant, il détale, laissant comme un Petit Poucet tristement moderne, une marque flagrante de son passage.
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Le feu avait largement eu le temps de tourner au vert que j’étais encore là, immobile et muette devant ce que je venais de voir.
Dans le gros pick-up de mon oncle Marcel, sur les chemins vallonneux de sa belle campagne, je trouvais ça très amusant quand il faisait crisser les pneus et qu’il brûlait du gaz pour le simple plaisir de me voir rigoler. À dix ans, je le regardais faire valser sa clope en pichenotte par la fenêtre et je le trouvais oh combien impressionnant avec sa veste de chasse et ses allures d’homme des bois. C’était une autre époque, et, bien qu’amoureux fou de la nature, mon oncle ne connaissait tout simplement pas les enjeux environnementaux liés à de tels comportements.
Vingt ans plus tard, coin Beaubien et Christophe-Colomb, je suis partagée entre l’envie de verser une larme de découragement ou de partir à la course pour rattraper la voiture et exprimer à cet homme à quel point je ne comprends pas l’univers parallèle et décalé dans lequel il vit.
Depuis un bon moment déjà, on croule sous les mauvaises nouvelles. Il ne faut plus être un fouineur de forums sur l’écologie pour comprendre à quel point les enjeux sont considérables.
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Dernièrement, une vidéo montrant un plongeur nageant littéralement dans une mer de déchets est devenue virale sur Internet.
Pour la première fois cette année, les scientifiques ont mesuré un changement de température dans l’océan. Un tel changement n’était pas estimé avant encore de très nombreuses années.
Il y a deux semaines, Le Devoir publiait un grand article qui mettait en lumière l’impact de l’utilisation abusive que nous avons faite de la matière plastique. Les conclusions font peur.
En avril dernier, il a neigé en Arizona.
OK, c’est bon, j’arrête la mitraillette. On a compris.
Plus triste encore, c’est qu’on pourrait continuer l’énumération sur des pages et des pages.
Je sais combien changer ses habitudes de vie est une chose difficile et qu’il faut du temps et de la patience. On se doit d'être conciliant, comprendre que ce n’est pas si simple pour tout le monde. Il faut être bienveillant, généreux d’explications et se rappeler que de déchirer sa chemise en hurlant à sa pauvre voisine de 75 ans qu’elle est débile dans la tête de ne pas composter, ce n’est pas tout à fait la bonne méthode.
Mais les petits gestes, tous ces comportements qui existent encore et qui ne devraient plus être acceptables, je pense qu’il faut les nommer fort et ne pas se gêner pour les pointer du doigt.
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Je ne fais pas un plaidoyer pour que tu vires toute ta vie à l’envers du jour au lendemain et que tu te mettes aux Q-tips lavables et à la Diva Cup qui-te-fait-mal-maudite-affaire. Je ne réclame pas non plus que tu munisses ta cour arrière de bacs à compost géants et que tu te nourrisses exclusivement des récoltes de ton beau grand jardin urbain en culture bio-intensive.
Mais peut-être se donner le défi de prendre de nouvelles habitudes, une à la fois, tranquillement pas vite. De réfléchir. Peut-être juste commencer par ne plus tirer ses déchets sur la rue Beaubien (et toutes les autres rues du monde, tant qu’à ça).
On commence facile !
Moi, je vais probablement me tanner et je vais un jour ou l’autre refaire l’innommable en traversant au feu rouge. Par contre, je promets de travailler très fort à jaser avec tous ces Monsieurs/Madames « tireux » de cendrier pour essayer de changer les choses de mon bord, un geste innocent à la fois.