Très chère maison, je suis partie, mais pas totalement!

Lorsque j'ai quitté le nid familial, j'étais aux anges! J'allais enfin prendre mes propres décisions, manger des légumes uniquement si j'en avais envie (allo à tout le chocolat de la Terre! Maman arrive!) et bien sûr me construire la belle vie d'adulte que j'avais imaginée depuis mes seize ans. Seulement, je ne sais pas si c'est moi, mais depuis que je suis partie, j'ai l'impression que mon ancienne maison ne m'aime plus. Comme si elle savait que je ne suivais pas les règles de ma mère, loin de son autorité. Elle a l'air d'avoir déjà oublié qui je suis. Tu ne te rappelles pas maison? C'est sur ce mur-là que maman me mesurait avec une règle au-dessus de la tête. J'étirais le cou en pensant que j'allais être plus grande (on le faisait toutes, non?) Le jour où j'ai dépassé ma mère d'un pouce à l'âge de dix-sept ans, ça a été le plus beau jour de ma vie. Je sais, je me mesurais encore à dix-sept ans, mais c'était vraiment important pour moi de battre ma mère. Ce sont par les fenêtres du salon de cette maison que j'espionnais mon beau voisin. J'avais un kick sur lui depuis le jour de son arrivée dans le quartier. À chaque fois qu'il me saluait dans la rue je cafouillais un ''allôçavôabientôa?'' comme une idiote avant de chercher à m'étouffer moi-même.

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Bon, vu de même, j'ai l'air d'une freak qui espionne le monde et qui ne sait pas quand vient le temps de vieillir. Je vous rassure, je suis passée à autre chose depuis. Seulement, ces beaux souvenirs ne suffisent plus à me faire accepter par cette maison qui fut mienne, il y a encore un an. J'en ai reçu la confirmation à ma dernière visite. J'étais en train d'écouter la télévision dans le salon. Ma mère faisait son mot croisé dans la salle à manger. Soudain, je l'entends crier. Je fonce dans la salle à manger : elle est debout sur sa chaise complètement paniquée. Voir sa mère en robe de chambre, un masque vert sur le visage, avec ses lunettes sur le nez… j'explose de rire.

-Hortense, ce n'est pas drôle!

Elle pointe le sol. Aaah! Ok! Une araignée! C'est tout? Je m'approche pour écraser la chose, lorsque je la vois. Longue. Quasi transparente. Pleine de pattes. Pis ça avance vite en tabarouette. J'ai jamais vu ça de ma vie. Je hurle et je monte sur la table. Je ne prends aucun risque, la chaise, c'est trop proche à mon goût. Je secoue les bras, la mine plissée de dégoût en hurlant comme une possédée.

-Va chercher l'aspirateur! me crie ma mère.

Je suis à la veille de faire une crise d'hyperventilation. Peut-être qu'on devrait appeler le voisin qui est pompier à la place pour être sûre?

-Hortense, va chercher l'aspirateur. Dépêche-toi.

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Ma mère me regarde avec la même intensité que les acteurs hollywoodiens sur les affiches de films d'action. Intense. Sûre d'elle. Avec son masque vert tout craqué et ses lunettes de travers. Je cours chercher l'aspirateur. Malgré tout le sang-froid dont elle est capable, ma mère tient le tuyau au bout de ses bras, le menton rentré dans son cou pour mettre le plus de distance possible entre elle et le monstre. Aussitôt aspirée, elle lâche le tuyau comme s'il était contaminé par la peste. Je prends l'aspirateur et je le brasse de toutes mes forces pour m'assurer que la bibitte s'étouffe dans la poussière du sac (wise la fille).

-Apporte-moi le tape gris, me demande ma mère.

Trouvez-nous folles si vous voulez, mais on trouvait ça plus sûr de mettre du ruban sur le bout du tuyau.  On n'a pas touché à l'aspirateur de la semaine. Je n'ai pas totalement coupé le cordon de l'enfance avec toi, maison. Je suis prête à devenir adulte, mais garde-moi un coin de souvenirs de mon adolescence. N'efface pas mon passage juste parce que j'ai fait mes boîtes. Je suis partie, mais je t'aime toujours autant. Je ne veux pas être une étrangère ou ''la visite'' quand je viens voir ma mère. Je ne veux pas avoir à chercher où sont rangés les linges à vaisselle. Je veux venir te voir et sentir que je suis la bienvenue comme lorsque je revenais de l'école, mangeais des biscuits en faisant mon devoir de math. La petite fille avec son appareil dentaire flâne toujours dans cette maison. Son souvenir existe et je dois apprendre à la laisser partir.

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