Après le rendez-vous du parc Jarry, l’Inconnu et toi avez passé les jours suivants à vous écrire… À vous écrire peut-être un peu trop pour deux personnes venant de se dire : « Ok, on prend ça cool, on ne sait pas où ça mène. » (voir La marche, Tôt ou tard et L’Inconnu). Même qu’un soir, alors que tu étais endormie, il t’a écrit une dizaine de messages en deux heures. De très jolis messages dans lesquels il te parlait de cette confiance qu’il y avait déjà entre vous, une confiance qui ne tenait encore qu’à un fil, oui, mais un fil qui, si vous le vouliez bien, pouvait être de fer… Il poursuivait en te confiant que tous ses amis savaient que tu existais, car votre rencontre était vraiment importante pour lui. Alors quand tu t’es réveillée, que tu as vu la lumière verte de ton cellulaire s’affoler et que tu as lu tous ces beaux mots spontanés, tu as craqué. Conquise, amoureuse, tu lui as écrit un message inspiré.
Mais soudainement, de son côté, plus rien. L’Inconnu se faisait silencieux. Bizarre… Tu as donc pris ton courage à deux mains et tu lui as demandé si tout allait bien. Il t’a répondu qu’il s’était seulement éloigné de la technologie pour la journée. Ah? Ok. Qu’il comptait d’ailleurs sortir de la ville pour les prochains jours et que son silence serait encore plus long. Ah? Ok. Drôle de timing… Tu sentais que le vent avait tourné. Car entre « je t’écris mille messages » et « je serai silencieux dans les prochains jours », il y avait une éternité.
À partir de ce moment-là, votre relation a engendré en toi des émotions en dents de scies. En dents de si. Si l’Inconnu t’écrivait, tu allais bien. Si l’Inconnu ne t’écrivait pas, tu allais mal. À vivre ainsi sur le mode conditionnel et selon les humeurs variables de Monsieur, tu sentais que tu perdais le contrôle de ta vie… Et que le sol sous tes pieds pouvait, à tout moment, se transformer en sable mouvant. Tu lui as donc demandé de bien vouloir t’expliquer le jeu auquel il jouait. Après tout, jouiez-vous au même jeu? Si oui, quelles en étaient les règles? Il t’a répondu de ne pas t’inquiéter, qu’il avait seulement besoin de prendre un peu de temps pour lui. Qu’il était toujours content de t’avoir rencontrée. Qu’il voulait toujours te connaître davantage. Et que vous vous parleriez à son retour, dans une semaine, car il partait de ce pas. Ah? Ok.
Tu te préparais mentalement à vivre quelques jours sans lui quand, huit heures à peine après son « au revoir », il t’écrivait être déjà de retour. Hein? Tu étais contente, mais le mot « inconstance » voguait dans ta tête. Se pouvait-il que l’Inconnu soit un être versatile qui disait oui et non presque en même temps? Si oui, pouvais-tu et voulais-tu t’y adapter? Bonnes questions. Des questions auxquelles tu pourrais répondre seulement en continuant à le connaître. Tel qu’il était réellement. En chair et en os. Avec ses forces et ses faiblesses. Tu lui as donc écrit être contente qu’il soit revenu et tu l’as invité à te faire signe de vie lorsqu’il en aurait le temps et l’envie. Il t’a répondu que, ressentant moins d’empressement de ta part, ton message le réjouissait…
Moins d’empressement de ta part? Ah? Ok. Tu comprenais maintenant pourquoi l’Inconnu avait pesé sur le frein quelques jours auparavant! Mais de quel empressement parlait-il au juste? Du tien ou du sien? Après tout, ce n’était pas toi qui lui avais écrit dix messages en deux heures! Définitivement, ça sentait la projection à plein nez! Et le plus paradoxal est que, le lendemain de son retour, c’est ce même homme « pas pressé » qui t’écrivait comme un déchaîné et te donnait rendez-vous dans un bar du Mile-Ex… Inconstance, bonjour! Du moins, vous avez passé une superbe soirée. Soirée où il a avoué préférer te voir que t’écrire. Vous avez donc convenu de diminuer l’écriture pour privilégier les rencontres réelles. Soirée également où, au moment de vous quitter, vous vous êtes embrassés très, très près de la bouche… Tu as alors ressenti une chaleur intense dans ton bas-ventre… Ouf. Cet homme te faisait de l’effet, c’était indéniable!
Le lendemain, vous avez suivi la règle du « on s’écrit moins ». Mais le surlendemain, voilà que vous passiez de nouveau une soirée entière à vous écrire. De 17 :25 à 23 :14 plus exactement. Trois jours plus tard, vous réitériez. Cette fois-ci, de 18 :34 à 20 :27. Définitivement, les règles du jeu n’étaient pas claires. Du moins, elles n’étaient pas respectées! Alors, vraiment, à quel jeu vous jouiez? À celui de l’amour ou de l’amitié? Tu lui as posé la question.
- Je te l'ai déjà dit et écrit, Catherine, je ne le sais pas. Je suis un homme entier. Je donne tout ou rien. J’aurais pu déjà tout t’offrir. Nous aurions pu dès la première soirée nous sauter dessus et nous embrasser pendant des heures! Comme dans une rencontre classique. Mais je ne veux pas ça avec toi. Je ne veux pas qu’on fasse « comme d’habitude ». Je veux qu’on invente et qu’on suive nos propres règles, d’accord? Oui, à mon âge, c’est ce que je veux.
- Nos propres règles? Oui, d’accord. C’est parfait avec moi! Dis, à propos de ton âge, j’aimerais t’inviter au resto pour ta fête. Quand es-tu libre?
- Demain.
- Génial!
Tu as donc réservé à l’excellent resto Manitoba pour le lendemain soir. Excitée comme une enfant à Noël, tu étais pleine de désir et ton bas-ventre était en feu. D’ailleurs, parlant « bas-ventre »… Quinze minutes avant d’aller rejoindre l’Inconnu, tu es allée à la toilette et… Tu avais tes règles. Quoi? Tu avais tes règles! Hein? Tu avais tes… QUÉ-CÉ ÇA? C’est que ça faisait trois ans que tu n’avais pas eu tes règles! Oui, trois ans comme dans 1095 jours! Tu avais arrêté la pilule en août 2013 dans le but d’avoir un enfant avec ton chum de l’époque… Mais tes règles t’avaient fait faux bond. Tu avais donc consulté un médecin qui t’avait dit ne rien comprendre à la situation. Tu avais ensuite consulté un acupuncteur pour avoir tes règles une fois et puis… plus rien. Tu t’étais shooté à l’œstrogène pour avoir tes règles une autre fois et puis… niet, nada. En somme, tu n’avais pas eu tes règles de manière naturelle depuis vraiment, vraiment longtemps. Et là, bing bang! Tes règles revenaient comme ça, quinze minutes avant d’aller rejoindre l’Inconnu! Quelle coïncidence! Comme si ton corps te disait : « Lui, ma belle, c’est OUI! Mariez-vous, vivez heureux et ayez beaucoup d’enfants! »
Tu as donc rencontré l’Inconnu en émoi, avec le goût de lui crier ta joie d’avoir tes règles (sérieusement, il était impossible de trouver une fille sur terre aussi heureuse d’avoir ses foutues règles!). Mais bon… Tu as jugé que le sujet était peut-être un tantinet délicat pour un tête-à-tête au restaurant. Tu t’es donc retenue. Et toute la soirée tu t’es retenue dans tes élans amoureux, car tu sentais que lui aussi de son côté, se retenait. Et tu as bien fait de te retenir, car il a fini par t’avouer en être au même point par rapport à toi qu’au parc Jarry, soit « je ne sais pas où ça mène ». Quoi? En entendant ça, ton cœur s’est brisé. Tous tes espoirs se sont effondrés. Décidément, l’Inconnu ne cessait de brouiller les cartes de votre jeu…
Cette game ne te faisant plus rire, le lendemain, tu as osé le confronter :
- Dis, hier soir, si je t’avais demandé de m’embrasser, l’aurais-tu fait?
- Pour être franc avec toi, non. Car je sais maintenant que tu ne sauras jamais plus qu’une amie pour moi.
- …
- Catherine?
- …
- Veux-tu être mon amie?
Le choc. Tu ne t’attendais pas à ça. Tu voulais disparaître et ne pas vivre les prochaines heures de ta vie. Tu te sentais rejetée. Heureusement, tu as eu le réflexe de ne pas te rejeter toi-même. Tu es donc allée chercher réconfort chez une amie. Tu as marché. Tu as pris un bon bain chaud. Tu as médité. Contre toutes attentes, tu t’es couchée le cœur léger. Comme libérée d’une histoire qui commençait à te peser…
Les jours suivants, une montagne de questions : pourquoi avais-tu attiré à toi une telle expérience de rejet? Pourquoi avais-tu rencontré l’Inconnu pour le perdre un mois après? Te sentais-tu maintenant capable d’être son amie? Également, une montagne de réflexions : ne plus jamais attirer un personnage de fiction d’une histoire dont tu es l’auteure. Ne plus jamais espérer qu’un homme rencontré corresponde à un idéal imaginé. Ne plus jamais mettre un pauvre mortel sur un piédestal. Tu comprenais également que tes histoires d’amour étaient souvent illusoires. Qu’elles étaient malheureusement plus souvent du côté « histoires » que du côté « amour ». Et qu’il était grand temps pour toi d’apprendre à vivre l’amour les deux pieds sur terre et non la tête dans les nuages. Donc non à l’amitié avec l’Inconnu. Car une amitié avec lui nourrirait ton fantasme d’être « Harry et Sally » l’un pour l’autre… Et de vivre ainsi t’empêcherait, tu le savais, de t’ouvrir à un nouvel et réel amour.
Certes, tu étais triste d’avoir perdu l’Inconnu, mais tu étais convaincue qu’il en était mieux ainsi. Après tout, tu te voyais t’adapter constamment à son jeu et à ses règles à lui. Pour lui plaire. Oui, avec lui, tu t’étais perdue de vue à essayer de le gagner. Mais là, tu t’étais retrouvée. Tu avais retrouvé ta vie. Tes règles. Et c’est en respectant tes règles que tu voulais désormais jouer.
Source: http://www.showfilmfirst.com