- Et le mot « plaisir », ça vous dit quoi?
- Plaisir? Pourquoi?
- Ne demandez pas pourquoi et dites ce qui vous vient à l’esprit.
- Ok. Ben… Crème glacée!
- Crème glacée. Très bien. Continuez.
- Je mange de la crème glacée, c’est tellement bon… Je salive juste à y penser… Je souris, je ris, mes yeux brillent, brillent comme le soleil… Le soleil, la plage, la mer, le mouvement des vagues, un mouvement hypnotisant… apaisant… Mes pieds au chaud, dans le sable chaud, il fait chaud, je suis bien, le vent caresse mes cheveux, ma peau, il est doux, nul besoin de m’en protéger, tout va bien, je me sens belle, calme, légère…
- Très bien. Continuez.
- Je ne suis pas pressée, rien ne m’oppresse, j’ai tout mon temps, je vis à mon rythme, aucune boule d’anxiété dans l’estomac, aucun souci, aucune obligation, je fais ce qui me plaît, je relaxe, la vie est simple, si simple… Je ne fais rien, je suis là tout simplement, joyeuse, je ne pense ni à hier ni à demain, je suis libre… Je mange ma crème glacée au soleil, c’est tout, c’est bon, c’est… c’est… je…
- Continuez.
- J’peux pas.
- Pourquoi?
- J’suis bloquée.
- Pourquoi?
- Parce que je me sens coupable.
Voilà. On y est. Le doigt sur le bobo. L’association entre les mots plaisir et culpabilité. Une association apprise très tôt, malgré toi. Parce qu’on t’a fait croire que la vie est dure et que le plaisir est coupable. Un héritage judéo-chrétien qui te colle à la peau. Un dogme qui, pendant des siècles, s’est fait un devoir de discréditer le mot plaisir. Pour glorifier le verbe souffrir… « Souffre et tu gagneras ton ciel! », voilà le message maintes fois répété. Telle une litanie. À en oublier la beauté de l’expérience humaine. Terrienne. Une expérience extraordinaire, indicible, qui dépasse tout entendement. Source inépuisable d’émerveillement. La planète terre comme un gros terrain de jeu.
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Mais toi, comme tant d’autres, tu as oublié comment jouer, comment t’amuser, parce que tu crois que le plaisir doit être mérité. Que tu dois te faire chier cinq jours par semaine pour pouvoir goûter au plaisir, du bout des lèvres, le weekend. Que tu dois, en quelque sorte, te promener à genoux à longueur de journées pour avoir le « plaisir » de panser tes plaies avant de te coucher. Plaie-sir compensatoire. Du pur patchage de bobo basé sur un système de punitions et de récompenses. Un système désuet depuis longtemps. Perpétué pour des raisons économiques. Et par manque d’imagination.
Ainsi, tu crois que le plaisir ne peut être vécu à chaque instant. Qu’il n’est accessible que très rarement. De temps en temps. Que tu dois l’acheter, le provoquer avec de l’extraordinaire, du nouveau, du flamboyant. Comme s’il se trouvait seulement dans le « pétillant ». Que l’eau plate ne suffisait plus à étancher ta soif. Une soif de sensations fortes. Le plaisir comme divertissement. Un objet de luxe auquel tu as droit seulement si. Si tu es fine. Si tu fais ton lit. Si tu fais tes devoirs. Si tu réussis à l’école. Si tu te trouves un emploi. Si tu gagnes ta vie. Si tu fais plaisir à tes parents et à tous leurs substituts : profs, amis, amours, patrons, collègues. Une liste de conditionnements et de conditions interminables. Qui repousse toujours le plaisir un peu plus loin. Alors que c’est faux. Le plaisir est comme le moment présent. Il est là. Tout le temps. À toi de le prendre. De le faire jaillir. De l’accueillir. De lui dire oui. Parce que tu peux avoir du plaisir dans tout, partout. En faisant ton lit, tes devoirs, ton travail, ton jogging. Mais tu préfères croire que le plaisir est capricieux. Compliqué. C’est con, mais on dirait que tu aimes compliquer les choses…
Tu n’es pas seule. Car on est plusieurs à se compliquer la vie. À compliquer la vie. En créant et en alimentant des systèmes oppressants, notamment. Des systèmes qui se nourrissent de violence, de haine, de peur, de séparation, de jugement. Et on oublie que nous sommes les créateurs de ces systèmes et que nous pouvons, par conséquent, les détruire et les modifier. Pour le mieux. Mais personne ne fait rien. Et on continue à jouer à la surconsommation, à la pollution, à la guerre. À des jeux qui, pourtant, nous emmerdent.
Vraiment, on se prend trop au sérieux. Pris dans nos propres rôles. Des fois, tu te demandes ce que serait le monde si on passait moins de temps à jouer des rôles et plus de temps à jouer en étant soi-même. Être soi, tout simplement. Ce qui est bête, c’est qu’on naît soi. Et qu’après, on passe des années à essayer de le devenir! Alors qu’on est soi à chaque instant. Dès maintenant. En fait, on est soi dès qu’on cesse de vouloir le devenir. Dès qu’on arrête de se dire « je serai moi et la meilleure version de moi quand… ». Une fois l’obligation de modifier quoi que ce soit à ce qu’on est n’est plus, la joie et le plaisir reviennent. Naturellement. Oui, quand tu arrêtes de te prendre trop au sérieux, un fou rire te prend. Ce fou rire est contagieux. Car il est juste et vrai. Et loin alors te semblent les jours où tu associais plaisir et culpabilité. Parce que le plaisir est non coupable. Donc libère-le. Libère-toi.
Source: http://www.frpeterpreble.com/