Tu es enrhumée. Nez congestionné, cerveau ramolli, paupières lourdes. Tu te mouches, tu tousses, tu renifles. Tu te sens moche. Fiévreuse. Fatiguée. Ton corps a besoin de repos.
Ton esprit aussi. Car tu es confuse. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, tout était clair. Tu marchais dans la vie d’un pas assuré. Tu semblais branchée sur des forces magiques, extraordinaires. La vie te souriait, t’sais. Mais là, tu es passée du côté obscur de l’univers. Tu ne vois plus où tu vas. Tu n’obtiens plus ce que tu veux. Et tu ne sais plus ce que tu peux. Ou pas.
Cet état de confusion t’oblige à te retirer en toi-même, à te taire et à prendre le temps et l’espace dont tu as besoin pour te recentrer. Car tu es décentrée, oui, et tu sais très bien pourquoi… C’est que tu avais fait de lui ton soleil. Et maintenant que ce soleil est parti… Tu es devenue une planète désaxée de son orbite. Tu flottes dans l’espace, en périphérie de ta propre vie.
Tu as commis tant d’erreurs avec lui. Comme trop de dévoiler. Être trop disponible. En faire trop, en donner trop, en vouloir trop! Un « trop » révélateur d’un manque immense dont tu ignorais l’existence. Un manque, un besoin, une faim. Une faim sans fin. D’amour, d’attention, de regards, de mots, de pensées, de moments partagés! En femme affamée, tu t’es révélée. Affemmée.
Tu as honte. Peur. Car cette femme en manque d'affection ne correspond pas à l’idée que tu te faisais de toi-même : indépendante, solide, ambitieuse, autonome… En fait, tu aimes trop. Un « trop » qui a pour conséquence d’étouffer tout désir chez l’autre. Un « trop » qui fait de toi une femme conquise d’avance. Qui s’offre comme un animal fou fonçant vers l’arme d’un chasseur. Une proie facile… Alors où est l’intérêt?
C’est ainsi que tu as agi avec lui. Tu as déposé tes trippes, ton cerveau et ton cœur sur la table d’opération en disant : « Voici mes plus intimes pensées, mes plus grandes aspirations, mes plus profondes blessures. Aime-moi maintenant! » Tu as fait de lui un chirurgien qui, d’un coup de bistouri, pouvait te guérir ou te blesser.
Quand il est parti, tout l’espace mental, corporel et temporel qu’il occupait est devenu un espace libre. Vacant. Oui, l’homme de ta vie parti, cette partie de ta vie était maintenant vide. Vide de vie. Vi-de. De-vie. Une simple question de syllabes.
Dans le vide, tu as ressenti l’appel du silence. Que tout le bruit du monde se taise, ne soit plus.
L’avion au loin. Silence.
Le système d’alarme d’une voiture. Silence.
Les camions qui reculent. Silence.
Les jappements du chien du voisin. Silence.
Les gens qui gueulent en parlant. Silence.
Les gars laittes et vulgaires sur les sites de rencontre. Silence.
Les mauvaises nouvelles à la radio. Silence.
Les téléphones cellulaires qui vibrent, clignotent, sonnent. Silence.
Les constructions au coin de ta rue. Partout! Silence.
Et surtout, tes désirs inassouvis et tes pensées sans issues. Silence.
C’est dans cet univers assourdi que tu as entendu ta colère. Une colère qui gronde en toi depuis longtemps. Une colère qui a explosé après avoir vu la 11e édition du World Press Photo. Toutes ces photos de guerres, d’enfants blessés, de dictatures, de maladies, de catastrophes naturelles, bien que belles et professionnelles, t’ont enragée, découragée. Et elles ont relié ta souffrance personnelle à celle du monde entier. Oui, soudainement, ton manque d’amour n’était plus individuel, mais universel.
Source: worldpressphoto.org
Alors tu as eu envie de gueuler. De gueuler contre la haine, l’injustice et tout ce « laid » dont tu es constamment gavée. De crier un gros « Ça va faire, calvaire! ». Ça va faire la guerre, la violence, la pauvreté, la pollution, la maladie, le racisme, le sexisme, les Donald Trump, les histoires d’amour de maaarde, la honte, la souffrance, la misère! Ça va faire!
Toute cette laideur t’indigne. Tu ne veux plus, ne peux plus en tolérer davantage. Désormais, tu veux de la beauté. Que de la beauté. Oui, qu’on te donne du beau. En abondance! Tu veux recevoir du beau. Comme jamais! Du beau. Tu en exiges. Maintenant. Tu en as besoin. Tellement!
Love & Hate de Michael Kiwanuka