Tu as du culot, oui. Tu oses. Tu prends des risques. Bien sûr, tu n’obtiens pas toujours tout ce que tu désires et tu frappes parfois un mur. Mais malgré les bosses et les blessures, tu te relèves et tu essaies de nouveau. C’est que tu as la tête dure. Et que le mode « essais/erreurs » ne te fait pas peur.
Tu as du culot dans toutes les sphères de ta vie. Dans tes amours, tu oses rêver l’homme idéal. Qui plus est, tu oses aller vers lui lorsque tu crois l’avoir flairé (voir La marche, Tôt ou tard, L’Inconnu, Les règles et Harry). Tu as du culot également dans tes études et tes emplois, car combien de fois as-tu changé de vocations pour satisfaire l’enthousiaste et la curieuse en toi? Tu ne manques pas de culot non plus lorsqu’il est question de voyager. Tu aimes voyager seule. Dernièrement, tu es allée en Californie (voir Cali for me). Mais ta plus grande aventure de voyageuse solitaire fut la Russie. Voyage dont tu te souviendras toute ta vie. Et qui a forgé l’audacieuse que tu es, désormais.
C’était en septembre 2006. Tu avais 26 ans. Tu étais à Moscou pour ta maîtrise en science politique. Ton mémoire portant sur l’islam en Russie, tu étais partie vivre en sol russe afin de joindre l’expérience humaine à la connaissance intellectuelle, l’agréable à l’utile. Tu étais là pour un an. Un an à nourrir la grande curiosité que tu entretenais envers ce pays depuis ton baccalauréat en études littéraires et ta formidable rencontre avec Dostoïevski, Tolstoï… Une curiosité que tu nourrirais là-bas en suivant des cours de langue et de politique russes dans une université située non loin de la légendaire place Rouge. Le rêve.
Source : goodies.pcastuces.com
Tu habitais une résidence universitaire avec des centaines de jeunes étudiants étrangers. Et des milliers de coquerelles. Tu partageais une minuscule chambre avec une Nippone absolument charmante. Et des coquerelles. Ta coloc ne parlant pas anglais, c’est donc avec une main tenant ton dictionnaire français-russe et l’autre mimant des réalités aussi simples que « manger », qu’elle et toi réussissiez à vous comprendre (vraiment?) À déployer autant d’efforts physiques et mentaux pour communiquer, tu te couchais chaque soir épuisée. Si épuisée que tu sourcillais à peine lorsque ton corps était parcouru de légers chatouillements… Tarakann. Coquerelle en russe.
La cuisine, les toilettes et les douches des résidences étaient des endroits communautaires. L’état de ces lieux était semblable à celui des chambres, c’est-à-dire un mélange de bestioles, de crasse, de poussière et de matériel plus ou moins fonctionnel. Des toilettes rouillées, suintantes, puantes, toujours bloquées, à court de papier. Des réfrigérateurs remplis à ras bord de nourriture, de moisissures et de vodka bon marché. Mais tu étais si heureuse d’être enfin là-bas, dans cet immense pays dont tu étais amoureuse, que tu y savourais chaque seconde vécue, peu importe l’inconfort.
Tes premiers jours moscovites ont été des jours d’exploration des environs afin de trouver tous les services dont tu aurais besoin pour survivre, soit une épicerie, une pharmacie, un café Internet, une buanderie… une buanderie? Une semaine après ton arrivée, tu n’avais toujours pas trouvé de buanderie. À ta grande surprise, Moscou regorgeait de magasins de fleurs, oui, mais pas de maudites buanderies. Étrange. Mais où donc les Russes lavaient-ils tous leur linge sale? En famille? Tu étais sur le point de changer ton sujet de mémoire sur l’islam en Russie pour celui de l’absence de buanderie, lorsque tu as rencontré un étudiant québécois qui résidait dans un corpus universitaire non loin du tien.
- Salut, je m’appelle Alexandre.
- Enchantée, Catherine.
- J’habite le corpus 1, étage 9, chambre 156.
- Corpus 4, étage 7, chambre 709. Mais attends… Étage 9, chambre 156? Pourquoi pas 956?
- Ah… Bienvenue en Russie!
Après cinq minutes de conversation sur les bizarreries administratives russes, tu lui as partagé ton ardent désir de trouver une buanderie. C’est alors qu’il t’a dit :
- Tu sais, Catherine, à l’étage 6 de ton corpus, il y a une laveuse. Tu dois payer 500 roubles par année pour l’utiliser. Ça t’intéresse?
- Euh… oui!
- Viens avec moi, je vais te la montrer. C’est pas une super laveuse, mais elle fait la job de temps en temps…
- Que tu veux dire?
- C’est que l’essorage ne fonctionne pas toujours, alors l’eau reste dans la laveuse, pis…
- Ouain…
Malgré le risque encouru, tu t’es inscrite avec joie au programme « j’ai une foutue laveuse à Moscou ». Tu as donné les 500 roubles à Alexandre (le chef de la laveuse) et tu as obtenu la plage horaire du jeudi midi. Le jeudi enfin arrivé, tu regardais anxieusement la machine à laver en te demandant si tu allais faire partie du clan des étudiants sentant la brise fraîche du printemps ou de celui sentant le vieux bas mouillé, lorsque la machine, arrivée à son cycle d’essorage… S’est éteinte. Niet. Plus rien. Shit.
Enragée, tu as ouvert la porte de la laveuse. L’eau sale a envahi le plancher du 6e étage. Ne voyant aucune vadrouille à l’horizon, tu as ouvert la porte-fenêtre pour évacuer l’eau à l’extérieur et essorer un tant soit peu tes vêtements. Tu essorais, essorais, sacrais, essorais les vêtements suspendus dans le vide au bout de tes bras quand, tout à coup, un bas et une petite culotte blanche (devenue grise « grâce » au lavage) se sont échappés de la jambe d’un pantalon. Tu revois encore la scène au ralenti. Ta petite culotte et ton bas qui tombent et tombent…
- NOOOOOOOOOONNN!!!
Soudainement, ta petite culotte – comme si elle avait entendu ton cri de désespoir – a rassemblé toutes ses forces pour s’accrocher au barreau du 4e étage. Ainsi, au lieu d’aller s’écraser dans le dépotoir situé à côté du corpus avec un vieux divan déchiqueté, du bois pourri, des pneus (et ton bas!), la voilà qui ballotait courageusement sur le barreau du 4e étage… une fesse de petite culotte au-dessus du vide, et l’autre au-dessus du plancher.
Source : www.garancedore.com
Tu as rapidement analysé la situation. Tu ne te battrais pas pour sauver ton bas, ça non, car le dépotoir était entouré d’une haute clôture et surveillé par des Russes aux gros bras. Mais que faire de ta petite culotte? Imaginant un étudiant se trimballer fièrement avec elle à travers le campus universitaire, tu t’es précipitée au 4e étage pour la sauver.
À ta grande surprise, le 4e étage était administratif. Ainsi, pour récupérer ta petite culotte à la porte-fenêtre, tu devais traverser un long corridor, de nombreux bureaux… et risquer de rencontrer des employés. Que faire? Était-il mieux de perdre ta dignité pour sauver ta petite culotte ou de perdre ta petite culotte pour sauver ta dignité? Tu n’avais pas encore résolu cette question existentielle lorsqu’une employée t’a interpellée :
- Chto vii xotitie, dievouska (que voulez-vous, jeune femme)?
- Euh…
Tu aurais pu lui répondre que tu étais désolée, que tu t’étais trompée d’étage et repartir tout bonnement vers ta mission d’essorage, mais… tu ne sais trop pourquoi ni comment, tu as commencé à expliquer, dans un russe pitoyable, que tu avais quelque chose qui t’appartenait là-bas, oui là-bas à la porte-fenêtre, une chose que tu aimerais récupérer, s’il vous plaît, si possible…
Ne comprenant pas ce que tu disais, mais saisissant par ta gestuelle que tu tenais mordicus à aller à la porte-fenêtre, l’employée t’y a gentiment accompagnée. Arrivée à destination, elle a eu la surprise de sa vie en voyant ce que tu venais chercher. C’est alors qu’elle a dit… Elle a dit… En fait, elle n’a rien dit. Car en russe ou en français, qu’avait-il à dire? Une fois ta culotte récupérée, c’est dans un silence amusé que l’employée t’a gentiment raccompagnée jusqu’à la sortie. Le chemin du retour dans le long corridor du 4e étage t’a paru une éternité.
Sans plus tarder, tu as appelé Alexandre pour lui dire que sa machine à laver et ses 500 roubles, il pouvait se les mettre… C’est alors qu’il t’a annoncé : « Relaxe, j’ai acheté une nouvelle laveuse. Elle arrive samedi. Super, non? » Super, oui. Mais il était déjà trop tard, car tu étais devenue, tu en étais certaine, la risée de tout le personnel administratif de l’université. L’étudiante étrangère dorénavant connue sous le sobriquet « la Canadienne à la petite culotte qui ballotte ».
Heureusement, tu as vite compris que le ridicule ne tue pas et que l’humilité est une qualité fondamentale pour une bonne santé mentale. Ainsi, après des jours à t’être sentie humiliée chaque fois que ton regard croisait celui d’un employé, tu t’es trouvée plutôt belle et culottée d’avoir bravé l’administration d’une université moscovite pour une pauvre petite culotte délavée.
Cette expérience en sol russe a donc forgé ton audace, ton culot. Mais d’autres expériences il y a… oh oui! Comme la fois où tu as essayé de t’improviser journaliste pour rencontrer Vladimir Poutine, à Saint-Pétersbourg. Mais ça, c’est une autre histoire…
Source : www.vice.com