Tu y penses combien de fois par jour? Ou peut-être que ce n’est que chaque mois? À Noël? Ou à sa fête quand ça t’adonne de réaliser quelle date on est ce jour-là?
Peu importe. Donne-toi le droit. Le droit d’avoir coupé les ponts avec ta mère. Ces mêmes ponts qui contenaient plusieurs failles.
Chaque rupture familiale comporte son lot de torts d’un côté comme de l’autre. Les divergences d’opinions, les gestes incompréhensibles et les propos douteux sont vus de différentes façons par les deux parties. Car sinon, aucun conflit n’existerait et ce serait bien ainsi.
Mais donne-toi le droit.
Le droit de ne pas te sentir coupable que ce soit malheureusement arrivé, de ne pas comprendre ce qui a bien pu se produire pour en arriver là. De croire que puisque c’est ta mère, celle-là même qui t’a donné la vie, que rien ne pouvait briser ce lien viscéral si fort. Et pourtant…
À partir du moment où tu décideras que t’en as assez, tu vivras des émotions. Ce ne sera rien comparativement à celles ressenties après. Des certitudes et des doutes. Vouloir tout lui pardonner un jour et en faire ton deuil à jamais le lendemain. Douter de ton propre toi. Te dire qu’en tant que parent, tu ne ferais jamais ça, que t’en arriverais jamais là. Ce sera parfois chaotique à l’intérieur. Ça se peut, t’as des émotions, un cœur et le regret d’une relation parent-enfant qui n’a pas fonctionné et qui ne fonctionne pas malgré les efforts.
Tu ne l’as pas nécessairement cherché.
Pis ça, c’est seulement avec toi que tu vivras toutes ces inquiétudes et remises en question-là. Attends un jour ou l’autre devoir répondre, surtout la première fois, en toute honnêteté : « Je ne parle plus à ma mère. »
Que les gens vous jugent intérieurement ou non, cela importe peu, mais seulement s’entendre le dire soi-même fait mal en dedans. Très mal. Mais donne-toi le droit.
Le droit de l’assumer et de quand même ne pas l’accepter.
Pis tu te feras juger. Par une ou cent personnes. Immanquablement. Par celle qui a une formidable relation avec sa mère. Qui ne pourrait vivre sans elle. Qui ne passe pas une journée sans lui téléphoner, et ce, plusieurs fois par jour. Par celui qui n’a jamais connu la sienne et que s’il en avait une comme la mienne, il en prendrait tellement soin, lui. Pis savez-vous quoi? Vous avez raison. Chacun fait avec sa situation.
Tu passeras pour le méchant.
De ne plus lui parler, mais aussi de l’assumer publiquement. Tu sentiras que tu devras justifier l’injustifiable.
Devoir tenir ton bout alors que ta relation, c’est ta relation, que seul toi la connais. Cette même relation qui t’a mené à ne plus pouvoir te tourner vers elle comme on se tourne vers sa mère à 5 ou 45 ans.
Briser les réflexes, lorsque ta vie coince, de prendre le téléphone, raconter tes embûches pour finalement seulement te faire dire que t’es le plus beau pis le plus fin.
Ça ne t’aura été d’aucune utilité en raccrochant, mais c’est parfois tout ce que tu voulais entendre de la personne la moins objective au monde face à toi.
L’amour d’une mère, juste pour le bien que ça procure, c’est parfois seulement de ça que t’as besoin.
Mais quand tout ça n’existe plus, n’est plus possible, donne-toi le droit. Le droit d’être en paix avec ça.
Tu n’as pas voulu en arriver là. Tu ne l’as pas cherché. Pis t’as sûrement passablement dû en endurer de lourds épisodes avant de prendre ton courage à deux mains et devoir y mettre fin. Y mettre fin pour toi.
Pour ton humeur changeante, après lui avoir parlé.
Pour ta remise en question que tu faisais à la fin de chaque conversation.
Pour la sensation de ne jamais être à la hauteur peu importe ce que tu faisais.
Pour les deux invitations à souper que t’as reçues en presque 20 ans parce que ça défaisait une routine.
Pour les multiples refus que t’as subis après l’avoir, dans ce cas, invitée et la multitude de défaites entendues pour ne pas venir, dont même celles que tu n’aurais jamais crut entendre, mais où tu devais être ensuite disponible en tout temps quand même au besoin.
Ça t’a donné le droit.
Le droit d’y renoncer malgré que ce n’est pas qu’une mauvaise personne, mais plutôt malgré tout.
Pas besoin d’avoir subi un acte impardonnable.
Parfois, l’accumulation de petits gestes au fil du temps est suffisante pour justifier ta décision. Une accumulation qui explose généralement par un acte ou une parole insignifiante. Cette même insignifiance qui te sautera au visage lorsque tu la raconteras pour expliquer le pourquoi en ajoutant « Y’é arrivé ça, mais pas juste ça là… », comme si tu devais le spécifier, parce que tu le vois bien ce que l’autre en pense.
Être mère, ce n’est pas qu’un titre.
J’en connais plusieurs qui le sont sans avoir d’enfants, par leurs gestes et leurs soucis du bonheur de l’enfant. D’être là quand ça compte, dans le mauvais comme le bon.
Arrivez-vous à l’entendre?
Entendre le « Mais mon dieu, c’est ta MÈRE !? On n'en a rien qu’une! » C’est à ce moment que je sais qu’il ne sert à rien de l’expliquer.
Fort heureusement, ces moments sont souvent dorlotés par des tranches de vie où une personne se sent comprise, car elle vit la même affaire et elle est donc ben contente de voir qu’elle n’est pas seule. Pas par fierté, mais par compassion. Vous aurez le droit.
Plus les années filent, plus l’on vieillit, plus la nostalgie se ressent, de voir cette mère qui est la tienne et qui n’a pas fait que du mauvais, vieillir elle aussi. Pas besoin d’avoir de contact avec elle pour le savoir. Pis malgré tout ce qui vous sépare, il se peut que tu te sentes ramollir et que tu aies la mémoire courte à la simple pensée de savoir qu’elle partira un jour sans son seul et unique enfant. Ça peut te déchirer et te faire tout remettre en doute, et ça aussi il se peut bien que ce soit très difficile. T’en es conscient.
Permets-toi cette grosse décision comme je me le suis permis le jour où j’ai moi-même décidé que ce serait mieux ainsi.
Mieux pour moi.
Mieux pour ma santé.
Fie-toi sur ton instinct qui sait mieux que quiconque ce qui est bon pour toi, pour ton bien-être. J’ai donné, essayé, réessayé encore et encore. Tenter de comprendre, de devenir l’empathie elle-même avec des yeux différents et un détachement hors du commun, mais ce fut impossible.
Je n’ai pas pu, je n’y suis pas arrivé.
Peut-être que toi tu y arriveras.
À toi qui vis ou as vécu ceci, je te souhaite d’une façon ou d’une autre de pardonner.
À elle si tu crois que c’est la meilleure solution, mais surtout à toi si la rupture devait se produire.
Si tu as réussi à surmonter ce ravin qui s’était formé entre vous, j’ai envie de te crier « BRAVO! » sincèrement. Vous aurez réussi, car tout se réconcilie à deux. On a qu’une mère et c’est vrai. Tout comme elles peuvent n’avoir qu’un enfant. Et même si elles en avaient 7, ça changerait quoi?
J’ai moi-même mis fin à cette relation entrecoupée de doutes et de peurs. Tout ceci est unique et propre à vous. Il n’y a rien de parfait dans une relation, ça peut être tout croche tout comme ça peut être très droit. Droit comme l’amour inconditionnel d’une mère pour son enfant. Droit comme l’amour irréversible d’un enfant pour sa mère. Droit comme j’aurais aimé me sentir ce jour-là, lorsque je me suis permis de ne plus parler à la mienne, ma mère.
Juste l’envie que quelqu’un me dise : « T’as le droit Patrick, de ne plus parler à ta mère. »
Un droit que j’ai pris depuis bientôt 7 ans. Est-ce que je pourrais envisager de revenir un jour sur ma décision?
J’me laisse ce droit, mais considérant qu'il y a eu des tentatives de rapprochements dans les dernières années, mais en vain, ce droit de choix risque malheureusement de se faire par lui-même lorsque la mort nous séparera...
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