Camille Sansregret c’est mon nom, pour vrai.
Il m’a laissée l’année passée. Je sais, j’ai failli y laisser ma peau.
Sa rencontre, ici c’est la faute du hasard, il y a de ces histoires qui ne se rêvent pas, mais qui se vivent.
Sans son regard qui m’avait croisée cet été-là, je me porterais sans doute mieux. Je n'aurais pas perdu 20 livres et commencé à avoir des cernes.
Une peine d’amour, c’est violent, pis parfois, on ne s’en remet jamais. Ce n'est pas pour être plate, mais c’est vrai.
Aimer quelqu’un, c’est un peu comme l’avoir tatoué sur la peau. Une peau qui, avec le temps, portait son nom, mais quand ce quelqu’un là ne t’aime plus, c’est un peu comme mourir devant des feux d’artifice; c’est injuste.
Allo! Me v’la aujourd’hui à quatre pattes sur mon plancher de cuisine à ramasser les mille morceaux d’une fierté qui s’était brisée. Je réapprends à marcher avec les cicatrices d’un coeur qui n’avait plus de couleur. Parce qu’il faut ben renaître de sa peine un jour... Aujourd’hui, je porte le fuchsia.
Camille
Premier matin de l'an 2015. J'essaie d'ouvrir les yeux, difficile. Mon maquillage de la veille avait coulé, collé, bref mon globe oculaire voulait me le faire payer. Ce matin, il n'avait rien à faire, je ressemblais à un raton laveur écrasé au bord de la route. La seule différence était que moi, j'étais encore vivante et que j'avais besoin d'un démaquillant. Ça chauffait, vite enlevez-moi ce mascara! Une fois redressée dans mon lit, ce lit, son lit, M- E-R-D-E, je ne suis pas seule. J'avais sans doute un peu trop noyé ma peine, engourdi ma souffrance, bref j'ai mal calculé mon atterrissage, me voilà chez un inconnu.
Je devais - et tout de suite - quitter cette chambre qui n'était pas la mienne. Me mettre à l'abri là où je pourrais être à mon désavantage en toute confiance. Je prends mon linge, je cherche mon string, il est fuchsia pourtant. « Petit bout de linge dentelé, viens vers moi. » Impossible de compter sur mes yeux, merci la vie. Décidément, ce matin, on me boude. « S’il fallait que monsieur-je-ne-sais-pas-qui, ici la rencontre avec un bel inconnu ne s'appliquait pas, se réveille. Non, je ne veux pas déjeuner avec lui, le malaise serait trop grand. » Dans un petit coin de la chambre, rabougrie, seule en boule, je ramasse mon string, j'ouvre la porte, « elle fait du bruit, m'en fous s'il se réveille, je ne me retournerai pas, je garde le focus, tout se passe plutôt bien, la porte est ouverte, mais pour qu'elle s'ouvre complètement je dois tirer, c'est ce que je fais, j'échappe mon linge, mes yeux piques, la porte est collée, vieil appartement, je tire, ça craque, il se réveille. » « Bonne année! », me dit-il.
Garçon
Elle n'est pas facile à ouvrir, faut pousser et tirer en même temps, t’es bonne, t’as réussi sans faire mon petit truc.
Je reste figée, je suis à moitié dénudée - voir toute nue - je me cache dernière ma robe de soirée pas très épaisse, mes yeux sont morts, j'ai la tête qui va exploser, j'ai envie de pipi et j'aimerais bien être chez moi s'il vous plaît, si j'étais une fée.
Garçon
Fais-tu des allergies?
Camille
Non, pourquoi?
Garçon
Ah, c’est parce que tes yeux sont rouges. Ça se peux-tu que t’étais plus belle hier soir?
Je meurs. C’est trop, je quitte, je décalisse.
Vous le savez, le jour de l'an, c'est comme une explosion de confettis, ça tombe du ciel, ça sort de nulle part. On frenche, c’est bon, c’est beau. J'veux dire les confettis, c'est beau. Cette année j'ai encore fait une folle de moi. Pourtant tout avait bien commencé, j'étais tellement énervée. Fallait que ça se passe bien. Fallait effacer 2014. Enterrer, barrer, rayer à la morgue, t'sais. Il m'a laissée, en 2014, il m'a laissée. La fin, ma fin. Le château de cartes qui s’effondre, le poignard renfoncé, moi dans rue qui marche le coeur ouvert, les tripes qui pendent. À fleur de peau, vulnérable au boute. Ça ressemblait à: « je pleure pour rien dans la 55 Saint-Laurent, je descends au prochain arrêt même si ce n'est pas mon arrêt. Je pleure, je ne regarde personne, je finis par sortir de l'autobus beaucoup trop bondé, la première ruelle que je trouve, je cours à sa rencontre. Je m'effondre, enfin, là, oui, je peux pleurer en paix. J'ai besoin de me cacher pour pleurer. Je dois avouer en toute modestie que je suis une belle fille, j'ai mon orgueil. Une fille qui se maquille, c'est laid quand ça pleure. J'me sentais à la guerre. Dans mon corps, c’était l'alerte générale, j'étais en état de survie. J'étais en dépression, n'ayons pas peur des mots. J'étais comme un corbeau mort. Noir, froid. Frigide. J'étais rendue frigide. Touche-moi pas. Ma première date avec un corps étranger, première date y s'essaye, toi. Non. Fait pas ça. Une femme en peine d'amour, je sais pas si tu le sais, mais ça peut être méchant, je suis violente. »
Donc le plan de ma dernière soirée de 2014, rendez-vous chez les girls vers 22h. Évidemment, ça me prend quatre heures à me préparer. Je voulais être parfaite, je voulais être parfaite pour accueillir la nouvelle année, mon nouveau départ, mon nouvel espoir. J'étais nerveuse, parce que je dois vous avouer qu'après la fin de ma relation avec l'ex, j'ai commencé subitement à me trouver une foule de points en commun avec sa soeur qui a mon âge. Je l'ai invitée à passer la soirée du jour de l'an avec les girls et moi. J'avais besoin d'un moment de transition, lui étant loin, elle étant proche. C'est comme si, dans mon fond intérieur, je voulais la séduire elle pour qu'on me le ramène lui. « Je sais le cerveau fait de drôles de connexions parfois. »
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J'avais le coeur qui me débattait, j'ai finalement opté pour un habit classe et sexy. J'allais être habillée en noir. Décolleté discret, mais présent, yeux de velours à la femme-chat, rouge à lèvres et contour à lèvres, eau de parfum à la rose, cheveux ondulés: ce soir je suis geisha. J'étais prête, prête au pire, mais surtout prête à tourner la page. La soeur de l'ex m'envoie un texto.
Julie
Salut! Ça va? J’suis prête, on se rencontre toujours chez tes amies?
Camille
Oui, on commence la soirée chez Alizée, dans son loft Mont-Royal et Saint-Laurent. 10:00pm.
Julie
Ok. x
Camille
Une musique s'empare de moi, je vole, je groove, je suis geisha. La neige, le froid, -20 sur Montréal. « Pas grave, ce n'est pas ça qui va m'arrêter d'être belle ce soir. » C’est avec un talon aiguille que j'aborderai la soirée. Dans ma paire de Nine West en velours fuchsia, j'étais plus que geisha, j'étais une Russia. T'sais, celle avec un accent sibérien. Ce soir je serai Camille avec un K. Kamille!
Fin.
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