Il fait partie de cette grande classe de films qui sont à la fois connus et méconnus du grand public:
- Sur la route de Madison? Ah oui, ça me dit quelque chose. Une histoire d’amour, ou un truc comme ça, c’est ça?
- Meryl Streep et Clint Eastwood jouent dedans? Très possible.
- Je le vois passer de temps à autre dans mes suggestions, mais je ne l’ai jamais vu.
- Les histoires d’amour, on en a vu des dizaines et des centaines, non?
- Est-ce que c’est une histoire vraie?
- Ah oui, je la connais, elle a joué dans Mamma Mia!. Une comédie musicale bien sympathique.
- Et lui, ce n’est pas le cowboy dans tous ces vieux westerns? Oui, je reconnais son regard. C’est le Bon*!
Ce qui est particulier avec Sur la route de Madison c’est, qu’après avoir regardé grosso modo la première heure, rien, ou presque, n’incite vraiment à vouloir le continuer, et encore moins à vouloir le revoir pour une seconde (ou nième) fois. Le rythme est lent, il ne se passe pas grand-chose, la trame sonore est presque inexistante, du moins elle ne frappe ni les oreilles ni l’esprit. Meryl Streep est à peine crédible dans le rôle Francesca, cette femme au foyer née en Italie, parachutée on ne sait comment dans une ferme en plein champ au plus profond de l'Iowa, mariée à un Iowien bien ordinaire et mère de deux enfants. Et Clint Eastwood, dans le rôle de Robert, lui ne peut se défaire de ses innombrables rôles des westerns qui ont marqué sa carrière et nos vies cinématographiques: d’ailleurs, son regard perçant fusille tout ce qui bouge à Madison.
Et pourtant, ce film a quelque chose de séduisant et d’attirant.
On sent que Francesca est une boule d’énergie, étouffée par toutes ses tâches ménagères: elle doit préparer à manger pour la famille, s’assurer que la lessive soit faite, que la maison soit en ordre, etc., alors que sa petite famille ne semble aucunement reconnaissante par tout ce qu’elle fait. Francesca, celle qui n’est pas écoutée, ou trop peu, et pour qui on a juste envie de rentrer rapidement dans la salle à manger et de l’évacuer de cet ingrat dîner familial, famille qui bien qu’elle ne soit pas méchante avec elle, n’est juste pas assez appréciative.
C’est Robert, débarquant dans le patelin, perdu, qui se propose pour extraire Francesca de sa terne vie. Ce photographe, pour la National Geographic Society, arrive à Madison dans le but de photographier les ponts couverts qui trouvent dans le coin. Robert, qui a parcouru le monde, appareil en main, en cherchant à chaque fois la meilleure pose, la meilleure lumière, non seulement il trouve les quelques ponts qu’il cherchait, non sans une certaine aide, mais surtout il trouve Francesca, celle qui ne le quittera plus.
Finalement, on veut savoir comment cette histoire va évoluer, et comment elle va terminer.
Et c’est quelque part là que réside la magie de ce film. Car qui ne s’est jamais senti refoulé par son entourage dans ses sentiments et dans le manque de reconnaissance? Qui n’a jamais (sérieusement) envisagé de s’enfuir de son petit quotidien, qui nous paraît la plupart du temps écrasant, pour vivre ses phantasmes sans limites, en toute quiétude et liberté? Qui n’a jamais espéré vivre pleinement un amour, intense et vrai? Et qui n’a jamais ressenti cette sensation de soulagement et de béatitude en trouvant finalement l’amour, le vrai, amour pour lequel il ne croyait plus vraiment au fur et à mesure que les années passaient? Sur la route de Madison, en le dépouillant de ses apparences premières - le lieu où se passe l’histoire, l’âge des personnages envers lequel on ne s’associe pas nécessairement - est quelque part un reflet de nos propres désirs et de nos rêves les plus enfouis.
C’est une des lectures qui peut être faite de ce film.
En le voyant de cet œil, même l’Iowa avec ses ponts couverts, vestige d’une époque révolue, et ses champs que je méprisais un peu il y a quelques lignes, vous paraîtront soudainement beaux et pleins de charme.
La lecture du roman sur lequel est basé ce film est délicieuse. Roman assez court, il constitue une très belle évasion estivale, qui vous fera certainement pleurer, et encore plus apprécier les gens que vous aimez.
Sur la route de Madison, un film réalisé par Clint Eastwood, 1995. Basé sur le roman éponyme de Robert James Waller, 1992.
*Clint Eastwood a joué le rôle du Bon dans “Le Bon, la Brute et le Truand”, 1966.
Image de couverture de The New York Times