Elle est là, perchée devant son téléphone cellulaire depuis des heures. Elle attend un signe de vie de sa part. Une petite notification, dopamine facile, afin de ressentir à nouveau le courant de la vie en elle. Il joue avec elle. Depuis des lunes. Il la prend puis la jette. La trompe puis lui ment. Son discours est décousu et ses agissements contradictoires.

Il prend ce qu’il veut d’elle et rejette le reste. Elle pleure. Elle souffre. Elle est en manque de tout.

Il aime la littérature comme elle, dit-elle. Ils s’échangent des noms de roman à lire. Il est intelligent. Il est beau. Il est parfait. Il est si toute. Avec lui, elle a goût à la vie. Elle est quelqu’un. Elle inspire, puis expire. Sans lui , elle a le souffle coupé. C’est la paralysie. Elle n’est plus fonctionnelle. Elle peut attendre une journée entière l’âme déboussolée qu’il lui écrive « Bon matin ».

Elle l’aime.

Je la regarde, assise à l’îlot de ma cuisine, la tête basse, attendant un message texte de sa part. Je bois tranquillement mon café assistant à une scène qui me dépasse. Elle est venue passer la fin de semaine chez moi pour se changer les idées. Passer du bon temps. Refaire le plein d’énergie. Faire son deuil.

Malheureusement, c’est tout le contraire qui se passe. Elle agonise. Elle meurt devant mes yeux. Assoiffée. Perdue.

Elle est un agneau entouré par une meute de loups. Elle est un agneau suppliant les loups de la dévorer. Je sens la rage monter en moi. Plus elle me parle de lui. Plus elle l’excuse. Plus elle l’idolâtre. Plus elle espère. Je suis enragée. Je suis impuissante. Malgré mon discours sur l’estime de soi, la violence psychologique, l’indépendance féminine avec le plus de vigueur possible, elle est sourde.

Devant moi se trouve une femme de 52 ans complètement démunie, sans défense, sans ego qui est complètement assujettie à un homme ou à une chose dépourvue d’honneur et de respect pour elle. Cette femme a une personnalité incroyable, des qualités de cœur incomparables et une beauté intemporelle.

La rage monte. Pourquoi les hommes ont tant d’emprise sur nous même après une cinquantaine d’années de vie?

Pourquoi nous nous sentons vivantes au travers de leur regard? Pourquoi vivons-nous à travers eux? Pourquoi la femme est si mollasse? Tant de souffrance, tant de dépendance, tant de mauvais choix. La femme creuse sa propre tombe, et il n’y a personne pour la sortir de cette impasse. Elle est seule et isolée. La femme est incapable de vivre pour elle-même, elle a besoin d’asseoir son existence sur ses relations, que cela soit auprès de ses enfants qu’auprès de son mari.

La nourricière. La mère. La guérisseuse. La gentille. L’aimante.

Elle ne crie pas. Elle ne s’offusque pas. Elle ne rage pas. Son sort , elle n’en a rien à foutre. Elle veut être aimée et reconnue, peu importe.

J’ai envie de vomir. Je n’ai jamais aimé être une femme. Je n’ai jamais aimé ce rôle. Je me suis rarement sentie à ma place en tant que femme.

Serviable. Douce. Tranquille. Docile. Surtout docile. Rangée. Conciliante. Saine.

Elle parle de ses enfants. Des rabais chez Costco. De son voyage dans les Caraïbes avec son amoureux. Elle est désintéressée par sa condition sociale. Elle pense tous les jours à perdre du poids. Elle pense constamment à être plus jeune, à plaire et à être désirable. Elle se critique constamment. Elle ne s’aime pas. Elle critique les autres femmes. Elle est comme une feuille manipulée au gré du vent.

Elle est désengagée du monde. Elle laisse les hommes diriger. Elle a peur d’être anéantie, elle ne se connaît pas. Elle ne connaît aucunement sa valeur.

Il faut absolument que la femme se débarrasse de sa peur d’être seule. Il faut absolument que la femme reprenne son pouvoir personnel.

Qu’elle dise « Non, c’est assez! » Elle doit arrêter de se taire et affronter l’inconnu, le chemin du combattant et de la révolte.

Le mouvement féministe est un mouvement qui commence en soi. En reconnaissant sa propre valeur et en refusant l’inacceptable : le mépris, la domination, les remontrances, la violence psychologique et physiquement, l’injustice et le manque de respect sous toutes ses formes.

Cette libération du patriarcat commence en soi.

Tant que la femme pensera que son émancipation passe au travers des hommes, elle sera vulnérable à son contrôle et à sa domination.

Elle n’y arrivera pas seule, elle aura besoin de la complicité et de la sororité des autres femmes. Elles doivent se tenir entre elles. Elles doivent se prêter main forte.

J’ai souvent confondu l’amour et le besoin de reconnaissance. J’ai souvent cherché dans le regard de l’homme ma nature forte et combative, ma valeur et mon unicité. Souvent, j'ai eu des partenaires qui me poussaient à en faire toujours en faire plus, à être plus et à me prouver.

Des hommes qui n’acceptaient ni mes faiblesses ni ma vulnérabilité. Je choisissais des hommes sans douceur, égocentriques, blessants à mon égard, tout en me demandant la perfection. Ils critiquaient mon corps, mes gestes et mes philosophies de vie.

J’ai eu beaucoup de difficulté (encore aujourd’hui, j’y travaille) à me laisser aimer pour qui j’étais dans mon entièreté, sans feux d’artifice.

Je croyais ne jamais être assez. Je carburais au sentiment de devoir me prouver constamment. C’est un véritable défi que d’avoir la paix d’esprit et de cœur quand on est habituée à se battre pour un tout et pour un rien.

J’aimais les hommes virils, hautains, extravertis et qui projetaient une image sociale forte. Cela venait allumer mon sentiment d’exister, parce que je ne reconnaissais pas ces caractéristiques en moi. Pourtant, aucune femme ne devrait vivre dans l’ombre de son conjoint. Aucune femme ne devrait se rallier à un homme pour se sentir vivante.

Les hommes tendres, doux, introvertis, respectueux et sensibles se font relayer au second plan. Ils sont vus comme mollasses. Les femmes réclament pratiquement plus de rudesse à leur égard parce qu’elles sont habituées de se faire dominer, barouetter à gauche et à droite, incomprises, discréditées et dévalorisées. Toi, la femme, sois belle et tais-toi. Elle ne reconnaît plus sa nature douce et sensible parce qu’elle doit, pour survivre auprès des hommes, la relayer au second plan pour ne pas se faire dénigrer.

Se faire traiter d’hypersensible, de folle, de castrante, de germaine.

La femme n’a pas le droit de s’introduire dans la sphère publique pour dire haut et fort ce qu’elle pense tout bas sans être discréditée, de passer pour une émotive, une désaxée et une personne conflictuelle.

Bref, la femme est en mal d’amour d’elle-même.

Et ce mal d’amour la pousse à se taire avec une impression d’être impuissante devant la fatalité de se retrouver sans un homme à ses côtés.

La claque est moins violente de la main de l’homme que de la main de leur vide intérieur.

Je n’écrirai surtout pas qu’il y a de bons hommes et des femmes qui s’aiment. C’est une évidence. Ce texte est là pour porter à réflexion, pour mettre des mots sur une rage intérieure que je porte depuis longtemps et sur ce que j’observe régulièrement.

Révoltez-vous contre les injustices, le mépris et le manque de reconnaissance à votre égard.
Image de couverture de Dmitry Ratushny
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