Dans sa pièce Cispersonnages en quête d’auteurice présentée dans le cadre de la 17e édition du Festival TransAmériques, la metteuse en scène Catherine Bourgeois pose une réflexion actuelle toute en humour sur la représentation et la légitimité au théâtre. À travers ses six (cis)personnages coloré.e.s, cette pièce joue sur le terrain miné du discours qu’on tient sur les êtres marginalisé.e.s. Qui parle et pour qui? C’est cette question que pose la pièce et celle que se posent ensemble ses protagonistes.

À travers ce texte polyphonique rythmé, Bourgeois définit un ton clair propre à chaque personnage sans pour autant les enfermer dans des cases.

C’est d’ailleurs là la force de Cispersonnages : se jouer du flou, explorer de manière ludique et décomplexée des questions sérieuses, faire des pas de côté, poser des questions sans se circonscrire.

Après avoir vu la pièce, rien n’est moins sûr que la marche à suivre pour se sortir de ce fouillis.

Le public n’est pas plus fixé qu’à son arrivée au spectacle : Bourgeois ne donne pas de réponse, mais elle pousse la réflexion. Elle engage les spectateur.ice.s à participer : qu’est-ce qui est éthique? Qui a le droit de représenter qui? Est-ce qu’on serait contraint.e.s à seulement jouer quelqu’un qui nous ressemble, à défaut de s’approprier l’expérience ou le vécu d’un groupe marginalisé? Le public est impliqué dans un geste de co-création de la pièce, car celle-ci est faite de trous, de points d’interrogation, d’espaces à habiter hors du théâtre et à emporter avec nous une fois le spectacle terminé.

Depuis les dernières années, le métier d’acteurice force à regarder en pleine face des enjeux d’appropriation, de visibilité et de représentation sociale. La pièce de Bourgeois se sert de la mise en abyme comme ressort dramatique avec ces six personnages qui font une pièce de théâtre sur une pièce de théâtre. Le caractère autoréflexif de Cispersonnages vient mettre brillamment en lumière la limite ténue entre réalité et fiction. Le théâtre peut-il réellement représenter fidèlement la vraie vie? N’y a-t-il pas quelque chose de plus sincère, parfois, dans le mensonge, l’imagination?

Avec un dispositif tout simple, dans l’arrière-scène, Bourgeois crée un espace onirique et saugrenu où défilent licorne rose à bottes brillantes et mouton en complet.

Est alors habité un espace personnel à chaque personnage où se profilent désirs, rêves, angoisses. Avec cette touche de réalisme magique, la metteuse en scène invite l’improbable sur la scène, ce qui sied particulièrement bien le ton comico-sérieux de la pièce.

Inspiré d’une pièce de Luigi Pirandello datant d’il y a de cela un siècle (six personnages en quête d’auteur, 1921), Bourgeois revisite les questions toujours (sinon plus) pertinentes aujourd’hui de la représentation, l’identité, le privilège et l’appropriation. Si cette pièce n’offre pas de solutions aux problématiques soulevées par les personnages, j’en retiens somme toute ceci : dans une époque où nos dilemmes moraux et nos espoirs d’inclusion sont forts et peuvent parfois sembler freiner la création, derrière notre envie de respecter et de ne pas blesser se trouve toute une richesse créatrice bien loin de l’ennui terne que rejoue sans cesse celles et ceux qui se plaignent de ne « plus pouvoir rien dire ».

Il y a encore des choses à dire, tellement d’autres choses, mais parfois il ne suffit pas de parler, d’écrire ou de jouer.

Encore faut-il savoir écouter.
Image de couverture © Festival TransAmériques
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