Voici une entrevue que j'ai eue avec Angélique Marguerite Berthe Diène – une femme influente issue de la diversité.

Peux-tu te présenter en quelques mots?

Sénégalaise d’origine donc venant d’Afrique, le berceau de l’humanité, j’ai vécu près d’une dizaine d’années en France avant de venir au Canada en 2013 pour des raisons « professionnelles ». Venue accélérée, justement par un mauvais traitement au Bureau des étrangers de la Préfecture où je vivais et à une certaine ambassade. Je suis Angélique Marguerite Berthe Diène ou Blacky Gyan pour mes ami.e.s artistes.

As-tu déjà été victime d’acte raciste envers ta personne? De paroles racistes?

Le racisme qu’il soit systémique, institutionnel, stéréotypé, culturel, etc., je le vis au quotidien, dans la rue, chez des amis, au travail. J’ai tellement d’anecdotes à raconter sur le sujet. Même lors d'une discussion banale, je peux me retrouver à être considérée comme une expérience « exotique » avec des stéréotypes raciaux ahurissants, vous savez, cette fameuse fétichisation des Noir.e.s et quand je le relève, on me sort la carte de l’ami.e Noir.e ou que je me victimise, car il y a rien de méchant. Mais, le racisme ce n’est pas ne pas être gentil!

Toutefois, la situation ci-après demeurera celle qui m’a le plus marquée et je ne saurais même pas dire la raison, car j’ai vécu des plus violentes.

Avoir, après plusieurs mois de recherche d’emploi, une entrevue avant laquelle le conseiller de l’agence de placement me dit qu’il est certain que je serai prise, car cela fait plusieurs mois que son client (l’employeur) rejetait toutes les candidatures et que seul mon CV a été choisi... Arriver devant ce dernier pour qu’il fasse une mimique en voyant ma tête et en me posant, avec dédain, à deux reprises la question à savoir si je suis bien Angélique, car il ne s’attendait pas à voir quelqu’un comme moi, puis voir son visage empreint de mépris tout au long de l’entrevue.

Quel est le sentiment qui t’habite quand tu penses au mot « raciste »? Comment te sens-tu et que ressens-tu?

Tout d’abord, je ressens de la peur, car je ne sais pas le degré de haine que mon interlocuteur.trice a dans son cœur. On a bien vu des gens rentrer dans un endroit et tuer celui qui ne leur ressemblait pas!

Par la suite, je suis en colère, car, comme toute personne en ce bas monde, je suis en droit d’exister pour ce que je suis et comment je parais. Personne ne choisit la couleur de sa peau, à ce que je sache! Alors pourquoi devrait-on me haïr ou me tenir certains propos parce que je suis Noire? Surtout au 21esiècle avec tous les films, docs, et autres qui passent sur nos écrans et qui montrent comment mon peuple et d’autres peuples ont été opprimés et continuent de l’être!

C’est tellement aberrant, triste et épuisant de devoir combattre pour ÊTRE considéré.e comme tout être humain avec des droits. Imaginez si on commençait à jeter tous les chiens et chats noirs.

Angélique fond noir regardCrédit photo: Bruce Leclerc  

Quelles prises de conscience as-tu fait en lien avec les récents événements qui concernent le racisme?

Je me rends compte que pour beaucoup de personnes issues de la (des) communauté(s) qui oppriment d’autres depuis des siècles, prendre conscience qu’elles ont des propos et actes racistes est très difficile à avaler. Et tant qu’elles verront le racisme comme une caractéristique de leur identité (car cela fait mal de se faire dire qu’on n’est pas ceci quand on croit l’être) mais plutôt comme des phénomènes hautement délétères qui arrivent subtilement et délicatement et qu’elles ne sauront pas écouter les opprimés au lieu de se défendre sur ce qui les définit, on ne fera pas un pas en avant.

Qu’est-ce qui est important pour toi dans la lutte contre le racisme?

Je ne comprends pas cette obsession à vouloir réinviter continuellement la roue du racisme alors qu’il y a énormément de connaissances et d’expériences qui montrent que ce dernier n’a plus lieu d’exister… à croire que les humains ne veulent pas cheminer vers le progrès social qui, sans aucun doute, engendrerait un progrès économique et donc, de meilleures conditions de vie.

Je pense que la réponse à cette question, je l’ai donnée plus haut. Nous sommes tous égaux alors on ne devrait pas être là à parler de racisme. Point.

Parle-moi de ton travail, de tes passions - comment peuvent-ils aider à lutter contre le racisme, la violence, l’ignorance?

Avec mon jeune frère Stefdekarda, nous sommes derrière Cheliel, un concept store éthique et solidaire alliant multiculturalisme et modernité qui, entre hommage au continent africain, africanisation de la mode moderne et mise en avant du savoir-faire québécois, offre des créations de mode réalisées avec des tissus venus d’Afrique et d’autres textiles produits à partir de sources recyclées, mais également des coffrets-cadeaux thématiques écolos pro-diversité.

Tous les deux, nous avons aussi lancé R Magazine, un webzine social d’Arts bilingue qui prône la diversité sous toutes ses formes tant par son contenu que par la composition de son équipe de bénévoles.

Je suis également la co-fondatrice d’Afro Women Workshops qui se veut être un regroupement de femmes « africaines » de souche ou de cœur, entrepreneures créatives et solidaires qui, la plupart du temps, se heurtent à des portes qui demeurent fermées dû à leur couleur de peau, puis qui sont sous-représentées dans certains domaines.

Et pour finir j’ai co-lancé, toujours avec mon acolyte qui est nul autre que mon frère, Stefdekarda, Lekk Tukki qui est la matérialisation visuelle de nos passions pour les voyages et la bonne bouffe. L'idée est venue suite à la lecture de plusieurs articles qui rétorquaient que c’est difficile voyager quand on est Noir.e, ou que les personnes Noires se privent souvent de voyages à cause du racisme, ou encore que quand on est Noir.e, voyager est un acte de résistance.

afro women workshops femmes rireSource image: Afro Women Workshops

Un mot d’espoir pour clore cette entrevue?

Je ne vous apprends pas que même les enfants subissent du racisme et sont obligé.e.s de se forger un certain type de caractère pour ne pas souffrir, pour se faire entendre, en gros, pour exister et pourtant plus tard, certain.e.s oublient cela et les incriminent.

Je suis heureuse de voir que dans certaines sphères le racisme est pris comme un enjeu et des conversations ont pu avoir même si la route est parsemée de mauvaises volontés. On a vu plusieurs jeunes caucasiens participer aux manifestations un peu partout au monde. Donc, on garde un brin d’espoir pour le moment en mettant tout en œuvre (car le combat ne cessera jamais de sitôt) pour que cela se renverse définitivement… un jour.

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