Depuis que je suis en âge de me faire des amies, j'ai toujours été très extravertie, très sociable. Petite, j'étais une enfant joyeuse et dynamique à l'imagination débordante. Les fins de semaine, je les passais à inventer des chorégraphies et des histoires avec mes meilleures amies. J'ai toujours été une fille de caractère qui ne garde pas sa langue dans sa poche. Entourée généralement de filles, j'aimais diriger ma petite troupe. Je n'étais pas non plus une fille de « gang », j'aimais avoir des amies partout. Et la plupart du temps, je vivais dans la peur d'une perte de contrôle.

Enfants filles rires

Source de l'image : Unsplash

Certains qualifieraient mon jeune moi comme une « boss des bécosses », et ils auraient raison. Une main sur la hanche, le petit doigt en l'air, j'aboyais des ordres à tout le monde et à personne. J'ai toujours aimé être en contrôle, sinon je ressens une profonde angoisse à l'idée de ne pas maîtriser une situation. Le destin ? Pour moi, croire au destin aurait été comme remettre le sort de ma vie entre les mains de parfaits inconnus. Non, merci.

Donc, j'ai toujours eu du caractère. Peut-être même trop, parfois. Et dans bien des cas, cette obsession de tout contrôler s'est retournée contre moi et je me suis retrouvée seule au monde. La réalité, c'est que le contrôle me permettait de croire que j'avais la situation bien en main, alors que ma vie s'effondrait autour de moi. Mes parents se séparaient brutalement et violemment, une armée de thérapeutes et de travailleurs sociaux débarquait chez moi et ma mère m'annonçait que je devais déménager à trois heures de route de ma chambre, de mon confort, de mes amies. D'un coup, je n'avais plus le contrôle sur rien.

S'échapper

Le théâtre m'a rapidement servi d'échappatoire. Sur la scène, je devenais d'un coup la meilleure version de moi-même. Les projecteurs braqués sur moi, je délivrais mon texte avec une aisance qui m'était jusqu'alors inconnue. Le théâtre m'a permis de m'échapper aux griffes qui semblaient se refermer sur moi. L'impression que tout est possible, c'est sur scène que je la ressens.

Théâtre

Source de l'image : Unsplash

Au secondaire, je continuais de materner tout le monde, de resserrer les troupes. Chez moi, les rangs étaient rompus et rien ne laissait présager une quelconque amélioration. Je m'évadais au travers de personnages farfelus, de poèmes que je composais ou de romans que je m'efforçais d'écrire. Puis, on m'a reproché ma grande gueule, mon caractère et mon côté extraverti. On m'a dit de parler moins fort, de rire plus discrètement, de m'effacer un peu.

D'un coup, on m'a enlevé ce qui retenait le camp ennemi d'envahir ma vie. Le contrôle, l'apparence. La perte de contrôle m'a brisée.  Du jour au lendemain, j'ai commencé à surveiller mes rires, voire à ne plus rire du tout. Je ne me sentais plus moi-même nulle part, j'avais perdu cet éclat qui me gardait vivante. J'ai commencé à errer entre les différentes tables de la cafétéria, dans l'espoir que quelqu'un me demande de raconter une histoire, n'importe quoi. Mais partout où j'allais, on me regardait différemment. Le seul contrôle qui me restait dorénavant était celui d'ignorer les murmures à mon sujet dans les corridors. De détourner le regard quand ma meilleure amie me plantait un couteau dans le dos.

Se retrouver après une perte de contrôle

À quinze ans, je n'étais plus que l'ombre de moi-même. Je n'avais que 16 ans quand je me suis retrouvée hospitalisée en psychiatrie pour une dépression majeure et un trouble anxieux. À dix-sept ans, je commençais à reprendre le contrôle sur ma vie, en dehors des murs de mon école secondaire qui m'avait tant étouffée. Depuis, je suis quelque part entre l'introversion et l'extraversion. Je ne fais plus de théâtre et je n'apprécie plus la douce chaleur des projecteurs sur ma peau. Je ne suis jamais allée au bar, car je redoute les commentaires de mes « amies ». J'ai toujours peu d'être too much, donc je reste dans la case où je me suis réfugiée adolescente.

Femme dans l'eau

Source de l'image : Unsplash

Aujourd'hui, j'ai 21 ans. Je n'ai pas vécu grand-chose, pas comme la plupart des gens de mon âge. Je n'ai jamais retrouvé cet éclat de vie qui me caractérisait enfant. J'ai perdu le sens du mot heureuse. Mais j'apprends tranquillement à me refaire confiance. Lentement, je reprends les reines de ce contrôle que j'avais laissé dans l'un des nombreux logements où j'ai habités entre 8 et 13 ans. Je m'ennuie de la scène, de la sensation d'être vivante. Qu'on me regarde et qu'on apprécie ce que je fais. Ce que je suis. C'est un long processus, la guérison, mais j'ai l'impression que ça en vaut la peine. En perdant le contrôle, j'ai perdu une partie de mon identité. Mais j'ai toujours été bonne à cache-cache. Aujourd'hui, c'est à moi de compter et je compte bien retrouver le contrôle.

Source de l'image de couverture : Unsplash
Accueil