Les études récentes tendent à démontrer que l'anorexie trouve ses origines dans le bagage génétique des personnes qui en souffrent, mais que des traits de personnalité spécifiques ou des éléments de l'environnement peuvent en être le déclencheur. L’anorexie nerveuse ne découle donc pas uniquement d’une préoccupation obsessive de son image corporelle, elle résulte de prédispositions génétiques et de modifications épigénétiques survenues durant la croissance, l’enfance, l'adolescence et même l'âge adulte.
L'anxiété de performance et le souci de correspondre à toutes les demandes du milieu scolaire sont souvent les points de départ d'une obsession de la perfection chez les femmes qui souffrent de ce trouble mental. Pour ma part, une faible confiance en moi, une grande introversion causant un isolement social et le désir d'être aimée et reconnue par mes enseignants m'ont amenée à devenir une petite machine de performance dès le primaire.
Ce n'était pas trop difficile pour moi d'être première de classe, car je passais ma vie à lire et je trouvais le programme beaucoup trop facile. Je rêvais de sauter des années pour enfin être stimulée intellectuellement! Les enseignants me donnaient des responsabilités ou me demandaient d'aider les autres enfants pour occuper mon temps. Ma mère m’avait avertie qu’au secondaire, je ne serais peut-être plus la meilleure de ma classe et que je devrais m’habituer à vivre avec cette réalité. Elle ne voulait pas que je tombe de mon petit nuage.
En arrivant en première secondaire au programme d’études internationales (PEI), entourée des meilleurs élèves des villes avoisinantes, la game était différente. Toutefois, le défi intellectuel me stimulait et j’ai continué de performer, me tenant dans les meilleurs étudiants de ma cohorte, et ce, dans presque toutes les matières. J’étudiais de trois à quatre heures par soir, je passais mes fins de semaine à faire mes travaux et je ne me contentais que de notes en haut de 90%. Même durant les vacances de Noël ou la semaine de relâche, je travaillais sans arrêt. Le PEI était très exigeant, mais je me mettais une pression incroyable. Mes parents me disaient sans arrêt que je pouvais vivre ma vie et m’amuser, mais ce n’était pas une option pour moi à l’époque. Je n'avais pas envie de me donner à 80% et de m'amuser avec l'énergie restante. Si je ne remettais pas un travail parfait, je n'étais pas satisfaite de moi-même.
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Au cégep, j'ai poursuivi ma discipline de vie militaire. Mon père est tombé très malade du cancer, et je me suis encore plus renfermée sur moi-même, étudiant du matin au soir. Je commençais aussi à ressentir le besoin de dépenser tout ce stress en cardio intense et j'avais de plus en plus de douleurs à force de toujours travailler à l'ordinateur. Par contre, quand j'ai reçu une bourse couvrant presque la totalité de mes frais de scolarité à l'université en raison de mes résultats exceptionnels au cégep, j'ai eu le sentiment que tous ces sacrifices avaient servi une bonne cause. Je n'aurais pas à mettre une pression financière sur ma mère et je pourrais mettre de l'argent de côté pour me payer une voiture.
Ma première année d'université a été synonyme d'isolement et de découragement, car je n'aimais pas ce que j'étudiais, mais je me sentais obligée de performer quand même. Je ne voyais pas de sens à ce que l'on nous forçait à apprendre. Je voulais devenir enseignante de français langue seconde aux adultes, mais je devais prendre des cours de mathématiques au primaire. Je questionnais beaucoup le programme et je n'étais pas motivée à me rendre à mes cours. Je me levais tous les matins en me disant "une autre journée infernale à me trainer jusqu'à l'université". Je compensais ce grand mal-être en contrôlant de plus en plus ma nourriture et mes entrainements. Par exemple, je ne m'autorisais qu'à manger un petit yogourt sans sucre et sans gras comme collation l'après-midi pour tenir jusqu'au souper. J'avais toujours faim et j'étais constamment épuisée. J'ai commencé à éprouver des difficultés à étudier de manière efficace. Je n'avais pas autant de concentration qu'avant. Pour conserver des résultats scolaires à la hauteur de mes attentes, je devais y mettre une énergie incroyable. Je me sentais constamment malade, j'attrapais tous les virus qui passaient et je me sentais léthargique.
En dernière année d’université, je ressentais donc un grand essoufflement et une lassitude par rapport aux études. Je me posais beaucoup de questions sur le sens de ma vie. Après l'université, aucune école ne regarderait mes résultats scolaires. Je faisais tout cela pour rien? Un matin d'examen où j’avais particulièrement mal au dos, j’ai pris un relaxant musculaire sans me douter de l’effet bœuf que cela aurait sur moi. J’ai passé mon examen dans un état second, complètement absente mentalement. Je dormais presque sur ma copie. Je n'avais aucune idée que ce médicament aurait cet effet sur moi.
Quand j’ai reçu mon résultat, 78%, j’ai eu envie de rire et de pleurer en même temps, car je n’avais jamais eu une note aussi faible de ma vie. Je venais de confronter ma plus grande peur sans le vouloir et un genre de déclic s’est produit dans mon cerveau: même quand je n'étais pas capable de performer, j’avais quand même un résultat potable! Wow! Quelle révélation!
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Durant tout le trajet de retour en métro, j'ai repassé les dernières années dans ma tête. Je suis remontée très très loin dans mes souvenirs et je me suis dit que j'avais perdu ma vie à étudier. Toutefois, et je suis très triste de l'avouer aujourd'hui, au lieu de prendre le bon chemin et de me dire que j'allais désormais me consacrer à ma vie sociale, ma famille et développer mes vraies passions, je me suis promis que j'allais maintenant mettre mon énergie à m'entrainer et à peaufiner mon plan nutritionnel. Je venais de déplacer le problème vers une autre obsession.
Après cet évènement, je n’ai plus jamais étudié fort de ma vie. Même au deuxième cycle en didactique des langues, même pour les examens des forces armées canadiennes pour enseigner aux officiers... je n’ai plus jamais mis une seconde à apprendre une notion par cœur. Je lisais mes manuels, je m'assurais de comprendre et j'avais confiance en mes capacités de réussir aux examens sans y mettre trop d'énergie! Je savais maintenant que j'étais capable de réussir assez facilement. Tant de temps disponible dans ma journée pour maintenant obséder sur le sport et l'alimentation!
Lorsque je raconte cette histoire, je la trouve bien triste, mais je m'en sers pour me rappeler que j'ai été capable de me débarrasser de la pression de performance. Je sais qu'un jour, de la même façon, je serai capable de me débarrasser de mon trouble alimentaire et de guérir mon image corporelle distordue. J'attends encore le déclic suffisant pour trouver la force de changer!