Depuis quelques semaines, mon aînée de presque cinq ans me demande régulièrement si elle est belle quand elle se regarde dans le miroir. Il lui arrive même de quitter son imaginaire si sa coiffure se défait, par crainte qu’on ne la trouve pas jolie. Heureusement, ses doutes s’estompent assez rapidement et elle s’empresse de retrouver son insouciance.
Ces brefs moments de notre quotidien me hantent. Parce que la dernière chose que je souhaite, c’est que sa confiance s’étiole lentement et pernicieusement comme la mienne au fil des ans.
Jusqu’à la mi-vingtaine, mon physique cadrait presque parfaitement avec les fameux standards de beauté. Je dis presque, parce que pendant deux ans, de jolis petits boutons ont décidé d’élire domicile de manière permanente sur mon visage. Il n’en fallait pas plus pour que de jeunes assoiffés de conformité me balancent des méchancetés sur mon passage. C’est à ce moment que la confiance de la petite fille introvertie que j’étais a commencé à s’effriter, même si je luttais très fort pour avoir l’air au-dessus de tout ça.
Adulte, j’ai pris du poids. Ça semblait être un problème pour certaines personnes si je me fie au nombre de commentaires et de questions indiscrètes que j’ai entendues à ce sujet, surtout lors de mes grossesses. J’étais terrifiée à l’idée qu’on emploie le mot « grosse » pour me désigner, parce qu’il est trop souvent utilisé de manière péjorative alors, qu’au fond, il ne sert qu’à décrire une personne. J’avais l’impression de devoir faire un genre de coming-out pour nommer ma nouvelle apparence.
Source image : Unsplash
Refuser de m’accepter telle que j’étais m’apparaissait plus simple. J’étais tellement poreuse aux autres que j’ai laissé leurs attentes devenir les miennes. L’étrangère que je voyais dans mon miroir ne correspondait pas à celle que j’avais en tête. Impossible de ne pas vouloir la chasser de là par tous les moyens. Je me suis mise à la détester et à lutter contre elle en vain, au péril de ma santé mentale.
La maternité a toutefois fait germer en moi une pousse inespérée de confiance. La vie qui s’implantait dans tous mes racoins rendait mes rondeurs poétiques. Je n’étais plus la seule à habiter ce corps tant détesté. Je ne cherchais plus à me fuir. Libre du poids de mes critiques, je respirais mieux, même si tout mon intérieur se comprimait de plus en plus.
Puis, j’ai donné naissance. Trois fois, mon corps s’est morcelé en beauté dans un mélange de sueur, de sang, de chairs et de violence. Je me sentais belle et puissante, en contrôle de ma chute. Cette force nouvelle m’a apprise à être bienveillante envers cette enveloppe corporelle que j’ai trop souvent malmenée.
Reste que c’est assez facile de retomber dans ses vieux réflexes bien ancrés. Pour les trois petites vies qui dépendent désormais de moi, je dois me rappeler que ce n’est pas un chiffre sur ma balance qui va me rendre heureuse. Que mon bonheur est ailleurs que dans celui des autres. Mon corps n’est pas un bien public. Il m’appartient. Je ne suis plus la seule à être détruite par mon manque de confiance. Pour que mes mots aient une véritable portée lorsque je chasse les craintes de mes filles, je dois apprendre à m’aimer, enfin.