Dans la douce banlieue de mon enfance, l’hiver était marqué par les bancs de neige vertigineux sculptés par la souffleuse et l’été miroitait dans l’eau bleue chlorée de nos piscines hors terre. L’ennui trouvait souvent son chemin, filant à ras les gazons frais coupés pour venir m’engourdir l’entrain, m’assoir en indien, mi-boudeuse mi-rêveuse, à attendre les amis du quartier qui tardaient souvent à se pointer. Alors, quand le facteur déposait dans la boite aux lettres ce que je considérais comme la bible ultime du plaisir, j’oubliais que le temps était long et je me perdais, armée de mon crayon fluo et de mon entrain démesuré, dans le grand Guide des loisirs de la coquette ville de Beauport. Chaque saison avait son activité. J’ai tout essayé, comme une vraie petite Indiana Jones du passe-temps, je n’avais peur de rien. Des cours de poterie aux leçons de saxophone en passant par le léotard de gymnastique, jusqu’au demi-sous-sol un peu glauque où j’allais manier le fleuret d’escrime avec un talent quelconque. L’été de mes douze ans, sans intérêt particulier hormis celui d’accompagner mes copines, j’ai rejoint les rangs de l’équipe de soccer récréative.
Ce fut la dernière activité surlignée en fluo dans le petit Guide chéri.
Source: Pexel
Le soccer a pris d’assaut ma vie, à grands coups d’entraînements, j’ai été repêchée pour gagner les rangs de l’équipe de compétition. J’avais un talent certain, un manque de confiance flagrant et une équipe vedette qui raflait tout sur son passage. J’étais la cadette de la bande, grande timide qui en arrachait avec l’esprit de compétition et qui pouvait se faire avaler tout rond par la pression.
Ariane avait 15 ans. J’en avais 13. Elle était grande et blonde et athlétique, avec quelque chose de posée dans le corps, de réfléchie. Avant les parties, elle s’extirpait du groupe pour aller s’échauffer à l’abri dans sa bulle. Écouteurs aux oreilles, elle arpentait les abords du terrain un ballon aux pieds, avec une dextérité et une aisance qui me fascinait. J’enviais son calme, même dans l’eau chaude jusqu’aux narines, des points de retard au compteur et une partie qui roulait toute croche, jamais elle ne s’énervait ou déversait son insatisfaction sur les autres. Ariane jouait grand et généreux. Elle travaillait pour l’équipe, ne gardait jamais les récompenses jalousement. Malgré un talent évident, elle faisait briller les autres davantage qu’elle ne laissait la lumière se poser sur elle.
J’ai vite compris qu’elle allait être mon fort dans cette bande de têtes fortes et de compétition acérée. Je me suis collée à elle, je ne l’ai pas lâchée d’une semelle et il y a probablement une grande part de son talent dans la toute petite joueuse de soccer compétitive que je suis devenue.
À deux pieds dans mes 13 ans ingrats, j’avais sans le savoir compris quelque chose de très important. L’idée que la lumière engendre la lumière.
À côté de plus brillante que soi, ce n’est pas l’ombre qui nous couvre, mais plutôt la réflexion qui nous éclaire.
L’adolescence m’a fait m’accrocher les pieds. Probablement est-ce là le propre de l’adolescence, n’en demeure pas moins que je me suis égarée quelque part dans ma conception de la patente. Modelée dans une confiance en papier de riz, la beauté me bousculait, l’intelligence semblait me repousser dans une zone dangereuse, le grand, le fort, le puissant, je me méfiais. Je contournais les filles trop jolies, j’évitais les garçons trop brillants, tous ceux qui parlaient trois langues, qui avaient vu tous les pays, qui utilisaient des mots compliqués et qui lisaient tous ces grands auteurs décédés. Ils me faisaient plisser des yeux, tous autant qu’ils étaient, ils pointaient du doigt mon très ordinaire, me tiraient la langue. Je trouvais mon aisance au-dessus de la mêlée, dans cette zone tiède et grise qui ne bouscule rien, comme dans l’eau stagnante d’un étang.
Aujourd’hui, cet espace m’ennuie profondément. Je fais tout pour le fuir, et lorsque la peur me donne envie de retourner m’y blottir un instant, il n’est pas long que mon corps tout entier me crie de foutre le camp.
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J’ai besoin de plus grand que moi pour avancer. Besoin de plonger tête première dans un espace qui me désarçonne, qui me remplit l’intérieur de vibrant.
Les gens que j’aime et qui m’entourent m’inspirent profondément.
Maintenant, j’ai envie de border ma vie d’humains grandioses et étincelants.
Je m’émerveille devant l’intelligence qui emprunte des chemins qui ne me sont pas familiers, me nourris de la créativité des amis artistes et plonge dans les eaux magnifiques du savoir des autres, ceux qui ont analysé chacune des facettes d'un sujet, qui ont exploré ses recoins les plus cachés. Je veux tenir la main de tous ceux qui foncent dans le tas, qui ouvrent les portes à grands coups d’idées et d’envies.
À s’entourer de plus grand que soi, on franchit des collines sans même s’en apercevoir. On avance, l’air de rien, porté par la cadence. Et puis un beau jour, on se retourne pour regarder en bas et on réalise être rendu au sommet d’une montagne magnifique que nous n’aurions jamais cru grimper.
Et ça, c’est la plus jolie chose qui soit.