*Les opinions exprimées dans ce texte sont celles de notre collaborateur. En publiant ce texte, nous espérons ouvrir la discussion à ce sujet.*
Voilà pourquoi j'ai malheureusement dit non au Réseau.
J'entends par Réseau celui de la santé et des services sociaux. C'est dans le langage du milieu pour tous les professionnels de la santé, du milieu social et de l'éducation. Je dis non à la logique économique qui contrôle chaque geste et la reddition de compte qui a de quoi rendre fou le plus saint d’esprit. La lourdeur administrative, les délais interminables et les erreurs de gestion multiples. Ce ne sont pas des biens de consommation que l’on traite, mais des êtres vivants, mal en point et souffrants. Dans mon premier texte «Lettre d'un futur travailleur social», j'en avais parlé en long et en large. J’étais déjà ambivalent en raison de mon expérience de stage jusqu’alors. Une fois mon baccalauréat terminé il y a trois semaines, j'ai décidé de dire non à ce non-sens. Non à cette pratique déshumanisée de la relation d'aide et non à cette bureaucratie stupide qui nous enlève tout jugement professionnel et où toute piste d'action qui pourrait vraiment améliorer la situation d'un usager ne rentre pas dans ce qui est autorisé par le budget. J'ai dit non au mur qui frappe tôt ou tard les intervenantes du système et j'ai dit non au travail à la chaine dans la manière d'aider les plus malmenés. J’ai dit non aux juges frileux qui ont peur de prendre des décisions, puisque les droits de parents priment sur ceux des enfants, trop souvent. J'ai plutôt dit oui au fait d'être le meilleur humain possible puisque faire le bien ne passe pas seulement par un emploi, mais c'est en nous. C’est pourquoi, plutôt que de me sentir impuissant au quotidien en raison d’une structure rigide, incohérente et non-prévisible, j’ai décidé de ne pas pratiquer le travail social selon les normes actuelles, de dire non au Réseau.
C'est une vocation, mais qui est exploitée, bafouée et non-respectée dans le système de santé et des services sociaux. Qui dit vocation, dit passion et volonté. C'est pourquoi les gens continuent et c'est pourquoi les gestionnaires coupent, coupent et coupent, car ils savent qu'il y aura toujours une âme bienveillante désirant changer le monde pour venir servir de chair à canon dans les tranchées des services de premières lignes. Je respecte et admire ces professionnels et ces personnes qui mettent leur santé et leur équilibre mental en péril chaque jour pour accomplir leur mission. De mon côté, je refuse d’être un pion dans un échiquier incompréhensible, frustrant et aliénant qui rend des services à en avoir honte tellement nous sommes à court de ressources et de temps, ainsi que d’humanité.
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Il est grand temps de se réveiller.
Jamais en 100 ans, un milieu d'hommes n'accepterait les faibles salaires, les conditions de travail exécrables et la gestion déficiente du Réseau. Pour beaucoup moins que cela, ils seraient dans la rue et ne se laisseraient pas faire. Chaque jour de mon stage, j'ai constaté les effets pervers de la réforme Barrette sur des collègues, collaborateurs et usagers. Soudez-vous les coudes, dites non au manque de respect et de considération de l'employeur. Choisissez-vous et comprenez que le système a besoin de vous, alors vous êtes en mesure d'exiger mieux de votre milieu de pratique.
Malheureusement, il y a eu un drame dernièrement et c'est choquant de voir que nos choix de société ont amené à la perte de ce petit ange, repose en paix. On va en parler aux nouvelles pendant quelques semaines, des commissions gouvernementales fantoches vont être mises en place et on va mettre des diachylons pour rassurer l'opinion publique, sans changements de fond. La loi va encore soutenir que l’enfant doit rester dans sa famille le plus possible, car c’est ce qui est le plus bénéfique pour son développement. Je dis bullshit à cela. On ne laisse pas les jeunes dans leurs milieux pour leur intérêt, mais plutôt parce qu’il manque de familles d’accueil et de milieux substituts. Logiquement, il est bien plus bénéfique qu’un enfant grandisse dès son plus jeune âge dans une famille d'accueil chaleureuse et aimante, que dans sa famille dysfonctionnelle et dont le potentiel de changement approche le 0%. La loi va dans le sens des faibles ressources dont nous disposons, mais je doute fortement que la fillette décédée il y a quelques semaines soit en accord avec cette maudite loi avec le calvaire que fut sa vie.
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C'est à nous en tant que société de se questionner, de se remettre en question et d'agir.
Sinon, avec l'état actuel des services offerts, il y aura de plus en plus de drames aussi tristes et indignants que celui-ci. La bonne santé de notre population ne peut pas seulement se fier sur le filet de sécurité troué de l'État. Elle doit aussi passer par la collectivité qui devra se rassembler pour retrouver un semblant de tissu social protégeant les individus les uns et les autres des répercussions néfastes et mortelles du capitalisme à outrance. Celui-ci vient même régir notre réponse d'aide à des enfants démunis, innocents et qui souffrent au quotidien. De laisser passer une jeune fille dans les rouages du système jusqu'à ce qu'elle en meurt, cela découle de nos choix de vie de Nord-Américains. Au lieu de rêver de grosses maisons, de voitures de luxe et de se préoccuper plus de son compte Instagram que du fait que la planète se meurt et que notre société se déshumanise, pouvons-nous rêver d'un monde sécurisant et chaleureux pour nos petits? Pouvons-nous rêver à des familles et des collectivités qui se soutiennent? À une population qui se soucie réellement de ses membres les plus vulnérables et qui comprend que si elle ne fait rien pour changer les choses, celles-ci vont aller en dégénérant avec le manque de ressources, le manque d'argent et le rythme de vie qui stresse tous et chacun de plus en plus chaque jour.
En plus de naturellement être en train de creuser notre tombe avec la manière dont nous traitons notre si belle planète, c'est moralement que nous avons perdu une portion de nous-mêmes, de notre âme, avec la perte de ce petit ange. Repensons notre société de demain, car actuellement le pronostic s'annonce sombre. Rebâtissons notre tissu social, réajustons nos instances et réapproprions-nous la fierté d’être Québécois, de faire partie d’un tout plus grand que nous-mêmes. L’individualisme et le productivisme nous mettent au pied du mur. L’heure des décisions est venue. J’espère que la perte de cette jeune fille vous a assez choqués pour agir, pour constater et pour penser au Québec de demain, à ce que vous désirez pour vos enfants, au monde et à la société que vous désirez leur léguer. En espérant qu'elle ne soit pas partie en vain, qu’elle aura éveillé les consciences, rallumé des cœurs et, surtout, mis du plomb dans la tête de nos dirigeants.