Avant que ne commence le spectacle, un avertissement : « je ne reviendrai pas, après la performance ». Ce que Micha Raoutenfeld s’apprête à performer, iel le qualifie de rituel. C’est au public de choisir la façon adéquate de clore ce qui s’ouvre devant lui, de juger la bonne manière de conclure ce chapitre.

L’artiste a choisi de commencer par le milieu, le cœur; d’entrer par le vif des choses. Papeça est le deuxième volet d’un spectacle triptyque. Le avant et le après, on ne le connaît pas encore. Parfois, on n'a pas le choix d’entrer dans la création par le ventre.

Pli.

Papeça est un récit initiatique. Ce n’est pas tout à fait une pièce de théâtre, plutôt un objet artistique hybride, comme l’être qui le porte. Alliant poésie, théâtre, danse et musique, Papeça est une œuvre interdisciplinaire qui retrace une vie marquée par la honte et une identité plurielle; la dureté des hommes et l’amour des femmes. Si l’histoire échappe à la petite Micha, sa mise en récit permet aujourd’hui une reprise de contrôle, une réappropriation de ces instants décisifs. Aujourd’hui, iel peut en faire ce qu’elle en a envie. À travers une prise de parole autofictive sensible et la mise en scène du corps, elle relie le fil d’un récit brisé, marqué par les mythes et l’intuition.

Dépli.

L’être mis en scène par Raoutenfeld en est un éclaté, qui vénère l’espace vide entre ses cuisses et l’espoir de la dissolution parfaite que lui promet le ballet. Son identité se façonne autour du manque, autour de cette robe rouge qui lui permet de ressembler à toutes les femmes et ce rasage à blanc qui lui assure d’être désirable aux yeux des hommes. La séduction est un langage trop bien appris et aucun de ses codes n’échappe même aux petites filles.

Pli.

Mais, « la lumière du soleil ne se couche jamais », il n’existe pas de repos pour celles et ceux qui voient trop clair. Raoutenfeld le sait. C’est donc grâce aux mains de filles et de femmes que cet être fragmentaire sera de nouveau complet, rapiécé par ces doigts qui touchent doucement, ces voix qui comprennent et disent « moi aussi ».

Dépli.

Ainsi le public assiste à la déconstruction et la reconstruction d’une identité qui, plutôt que de s’acharner à définir, décide d’embrasser le flou, le mouvement, l’instabilité :

« Le monde est en constante mutation et moi aussi
J’accueille cette fluidité qui m’érige
Qui me permet de me faufiler
De toucher à l’essence
La mienne, celle du monde
Sans distinction »

Papeça est un acte de subjectivation tout en douceur et en force. C’est la naissance d’une créature. C’est un oiseau de papier qui se déforme et se forme pour créer du sens; qui se rappelle de ses plis pour changer le cours des choses.
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Micha Raoutenfeld est « un·e artiste queer et non binaire d’origine slave. Performeur·euse, metteur·euse en scène, auteur·trice et interprète, son travail artistique est profondément influencé par ses identités multiples » et d’un désir de déconstruire les discours dominants.

Papeça ouvre la Trilogie des corps éthériques et prendra place au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui jusqu’au 10 février.
Image de couverture via Centre du Théâtre d’Aujourd’hui
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