Ma mère raconte que dès mon plus jeune âge, manger était un véritable plaisir pour moi. Bébé, je fermais les yeux en savourant mes purées! Je n’ai jamais eu de troubles du comportement alimentaire durant mon enfance. Je mangeais avec appétit! Ayant grandi avec des parents qui cuisinaient tous les jours une grande variété de mets, j’étais constamment exposée à des aliments différents. Chez moi, le couscous à l’agneau côtoyait les rouleaux de printemps vietnamiens et les cannellonis maison. La passion de la gastronomie de mes parents était contagieuse. Le souper était un moment privilégié dans la journée. Pas question de manger un plat congelé en vitesse devant la télé! Il n’y avait pas d’aliments interdits chez moi, mais très peu de fast food.  

Très jeune, j’ai compris que je mangeais plus que les autres enfants de mon âge. J’entendais souvent les gens dire que j’étais un puits sans fond ou que mon appétit était insatiable. Je n’aimais pas que la serveuse du St-Hubert passe un commentaire moqueur lorsque je terminais mon bol de brownies et crème glacée après avoir englouti mon plat principal sans en laisser une miette. Mon poids était pourtant assez stable et normal pour mon âge. En y repensant, je crois que j’étais une enfant qui avait besoin de beaucoup d’énergie et que mon métabolisme était très rapide. Chaque être humain a des besoins différents et je comblais les miens de manière intuitive.

Malheureusement, la naïveté de l’enfance a une fin et l’adolescence a amené pour moi son lot de problématiques au sujet de mon image corporelle. J’ai ressenti le besoin, en 3e secondaire, de commencer à contrôler mon alimentation. Nous avions appris, en biologie, qu’il fallait manger de 5 à 10 portions de fruits et légumes chaque jour ainsi que plusieurs autres recommandations du guide alimentaire canadien de l’époque. Pour la jeune perfectionniste que j’étais, il ne s’agissait pas de recommandations, mais bien de dogmes: je venais d’ouvrir la boîte de pandore des diktats nutritionnels.

Notre enseignante nous a ensuite montré à déchiffrer le tableau de valeurs nutritionnelles. S’ajoutèrent donc, à la folie du calcul de mes portions, le nombre de grammes de fibres, le pourcentage de gras saturés, le nombre de calories, la quantité de sucre ou de sel, etc. En éducation physique, on m’a expliqué que je devais aussi « brûler mes calories » par l’exercice physique, sans quoi je prendrais probablement du poids de manière exponentielle! En quelques semaines, je suis devenue une pro du calcul de ma balance énergétique et j’ai complètement perdu le sens de la satiété : dorénavant, je mangerais des portions de groupes alimentaires et je respecterais des tableaux de valeurs nutritionnelles. J’étais très motivée et je n’arrivais pas à croire que j’avais passé toutes ces années dans l’ignorance! À quel point avais-je mis ma santé en danger en mangeant des biscuits du commerce bourrés de gras trans et en buvant du jus d’orange rempli de sucre?

J’étais très fière de représenter un exemple de rectitude alimentaire. Je regardais les gens manger et je me disais « les pauvres… ils ne connaissent pas la vérité! » Une vraie religion! Je suis passée par toutes les modes alimentaires du moment, du « sans gras » aux barres enrichies de fibres. Je lisais tous les articles de magazines féminins sur la nutrition, ne sachant plus à quelle nouvelle croyance me vouer! Si je lisais quelque chose de nouveau, je l’appliquais!

nourriture trouble

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Si mon orthorexie s’est par la suite transformée en anorexie, elle correspondait à l’époque à presque tous les critères diagnostics établis par le Dr. Steven Bratman, le premier médecin à avoir décrit précisément ce trouble alimentaire. Bien qu’il ne figure pas encore au DSM-V, on y mentionne certains aspects dans la catégorie des troubles des conduites alimentaires non-spécifiés (OFSED). Entre autres critères, l’orthorexie se manifeste par :

1)      Une fixation sur la qualité, la pureté ou la quantité de nourriture ingérée;

2)      Une rigueur extrême face à la consommation de nourriture préétablie comme étant « saine » ou « permise »;

3)      La tendance à moduler son estime de soi selon l’atteinte de ces règles de perfection alimentaire (sentiment de supériorité ou déception profonde). ;

4)      Un grand impact sur la vie quotidienne (vie sociale limitée, nombre d’heures passées à penser à la nourriture ou à planifier les repas, etc.).

Il est très difficile, au XXIe siècle, de vivre dans une bulle en ignorant les nouvelles tendances alimentaires qui nous promettent de vivre jusqu’à 150 ans à l'abri de toutes les maladies chroniques! Le régime cétogène, l’alimentation sans sucre, le jeûne intermittent et toutes ces diètes qui se veulent des modes de vie sont défendues corps et âme par leurs gourous.  Bien souvent, derrière ce discours « santé », on remarque qu’on nous bombarde d’images d’abdominaux bien découpés et on comprend que l’aspect physique demeure la motivation #1 pour suivre ces régimes drastiques.

À mon avis, dans mon cas, rien ne sert de mettre la faute sur l’école, la société, l’influence de mes amies, les médias, etc. Tous ces éléments peuvent déclencher, chez une personne ayant déjà des tendances obsessionnelles ou perfectionnistes, une forme plus ou moins poussée d’orthorexie, mais ce n’est assurément pas l’unique cause et j’étais 100% responsable de mes décisions. Ce à quoi je me raccroche, c’est la certitude que la nourriture doit rester une source d’énergie pour mon corps, mais surtout une source de plaisir, comme quand j’étais petite et que la nourriture était synonyme de bonheur.

Ce que l’on mange et la quantité que l’on mange ne font pas de nous une bonne ou une mauvaise personne. Oui, manger QUOTIDIENNEMENT ET EXCLUSIVEMENT des aliments industriels vides de nutriments peut avoir des conséquences sur notre santé. Toutefois, se priver de manger des aliments moins nutritionnellement intéressants simplement par peur peut avoir des conséquences majeures sur notre psyché et causer beaucoup plus de problèmes de santé à long terme. Tout est une question d’équilibre et tous les aliments devraient avoir leur place dans notre assiette, en quantité suffisante pour combler nos besoins physiques et psychologiques. Food for thoughts!

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