Quatre-vingt-six étoiles.

 Quatre-vingt-six minuscules lampadaires allumés après vingt heures.

Quatre-vingt-six veilleuses rassurantes.

Quatre-vingt-six formes fluorescentes que t'avais collées à l'aide de gommettes blanches plus ou moins efficaces, malgré les dires de l'emballage style année quatre-vingt. Tu m'avais expliqué qu'il avait fallu pousser très fort sur chacune d’entre elles pour que ton chef-d'œuvre prenne forme. La première nuit, quatre étoiles sont tombées du plafond. « Ce n’est pas grave, c'est comme des étoiles filantes! », que tu m'as répondu. J'ai souri, tu m'as souri. On était bien, je crois.

source image: Pexel

Le truc des étoiles, ça avait commencé en septembre dernier.  Montréal la nuit, le chaos dans le ciel, on ne le voit pas. Il est caché par celui qui se déroule devant nos yeux. Parfois, lorsqu’on lève les yeux, on aperçoit un scintillement, on espère naïvement... puis ça se met à clignoter... c'était un avion, on se sent bête. En campagne, mes copines étincelantes, je les prenais pour acquises, je les voyais, mais ne les contemplais plus. Elles avaient toujours été là, en grand nombre, m'entourant de leur bras de grand-mères astres. À l'école primaire, dans la classe de Madame Rioux, j'avais appris, qu'en fait, elles étaient mortes, éteintes. Ça m'avait donné un choc. Elles avaient l'air si vraies ces grandes dames célestes! Toutes si vivantes à briller là où trône le néant.

Je me souviens de la première fois que je les ai vues réellement. C’est toi qui me les avait présentées.  On était couchés sur la rosée du soir dans la cour chez mes parents. L'herbe froide me picotait dans le dos, et la crainte d'avoir le crâne posé sur un nid de fourmis grouillait dans mon esprit. Mon père avait passé la tondeuse le matin même, autour de nous, ça sentait fort la terre et l'été gazonnant. Ça puait, mais c'était réconfortant. T'avais posé tes longs bras sur les côtés de ton corps, alors j'ai fait de même. Je ne savais pas trop comment me placer à côté de toi. Le silence était lourd, prenant, on entendait nos deux souffles se faire échos. Soudain, tu t'es exclamé en pointant le ciel : « Hey! Regarde! On voit full bien la Petite Ourse! ». Mon cœur a recommencé à respirer. Alors, tu m’en as appris plein d’autres : Cassiopée, l'Horloge, le Loup, le Capricorne. Tu gesticulais, les deux index dans les airs, passionné que tu étais par ce dôme mystérieux au-dessus de nos têtes.  Parfois, je ne les voyais pas clairement, alors tu prenais mon doigt pour tracer leurs contours. Ta main était froide et me brûlait en même temps.  J'ai pensé à un livre romantique rose bonbon dont j'avais terminé la lecture quelques jours auparavant. Je me suis dit que c'était peut-être ça l'amour?

source image: pexel 

Arrivée à Montréal, j'ai compris qu'il fallait que je me résigne à ne plus voir nos chaperons des nuits d'été. Je t'en parlais des fois, c'était con et puéril ce que je te serinais, mais je m'ennuyais d'elles. Tu m'as dit que toi, tu les voyais dans mes yeux, j'ai ri, mais ce n’était pas assez pour me consoler.  En février, le quatorze, j'étais dans la cuisine alors que tu tapais comme un forcené sur les murs, le plafond. Je t'entendais déplacer des meubles pis sacrer après une chaise un peu trop branlante. Je t'ai demandé ce que tu faisais, tu m'as dit de rester à ma place que c'était une surprise.  J'aimais les surprises, parfois même à m'en faire moi-même, alors je t'ai laissé faire trépignant sur place. Tu m'as appelée en me priant de fermer les yeux avant d'entrer dans la chambre. T'étais beau avec tes cheveux à la Nick Carter dressés dans les airs à cause de ta sueur. Paupières closes, tu m’as demandé de me coucher sur le lit. Et elles étaient là, mes anciennes comparses. Quatre-vingt-six minuscules étoiles en plastique de toutes les tailles qui forment, maintenant, un petit firmament dans un quatre et demi de Côte-Des-Neiges.

À nos nuits étoilées,

source image de couverture: pexel

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