«Ils sont tellement doux tes cheveux, c’est un peu comme de la barbe à papa ou du coton» dit-elle, les doigts dans tes cheveux, sans avoir demandé la permission, bien sûr.

«Tu sais, moi, je peux les handle les noires, j’ai étudié à Mont-Blanc, à Laval» dit-il comme tentative de cruise.

«Tu vas te marier avec un blanc ou un noir quand tu vas être plus grande?» demande ton professeur de 3e année.

«Tu parles tellement bien français!»

«Tu es tellement bien articulé!»

«Tu viens d’où, vraiment?»

«Toi, tu dois être adopté? Ah ouais, tu l’es pas? J’aurais juré qu’oui!»

Ces satanés phrases m’ont accompagnée tout mon primaire et m’ont bercée tout mon secondaire. J’ai toujours été mal à l’aise quand j’entendais ce genre de remarques, mais elles ont toujours été accompagnées d’un éclat de rire de l’enseignante et de la classe. Si tout le monde trouvait ça drôle, pourquoi le prenais-je si mal? Quand j’essayais d’exprimer mon malaise, j’étais invalidée par les intervenants autour de moi; «Ils sont juste curieux» disaient-ils. Comme si c’était mon travail, en tant qu’élève noire, de les éduquer. Comme si j’avais la responsabilité du haut de mon mètre quarante d’expliquer à un autre camarade de classe que j’étais aussi humaine que lui et que je méritais du respect et de la dignité.

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Ma responsabilité?

J’étais comme une bête de foire ou un musée ambulant : j’avais la responsabilité d’éduquer les autres sur qui j’étais, d’où je venais et pourquoi j’étais si différente. Jamais, un prof s’est dit que c’était déplacé de me demander d’où mon nom venait le premier jour de classe. Jamais, Annie à la caisse 3 du Maxi s’est dit que je ne lui devais pas un exposé sur mes origines et sur les produits capillaires que j’utilisais. Il est facile de balayer ce comportement sous le tapis et d’agir comme si c’était normal et que la culture dominante voulait juste en apprendre plus sur nous, la culture minoritaire. Par contre, c’est tellement plus que ça. C’est un ensemble de comportements qui est extrêmement agressant et lourd. En fait, Chester M. Pierce, psychiatre Harvardien a nommé ce phénomène «micro-agression». Initialement, il avait été créé pour définir les épisodes de racisme ordinaire que vivaient les personnes noires américaines. Rapidement il a commencé à être utilisé lorsqu’on parlait de sexisme, d’homophobie, de transphobie, etc. Il est difficile de définir une micro-agression parce que c’est quelque chose que l’on vit, que l’on expérimente au quotidien. Ce sont des petits actes qui dérangent, qui alimentent les conversations à la table et qui créent de l’exaspération. C’est le chapeau sur la table que les blancs refusent de voir, malgré le nombre de fois qu’on souligne sa présence.

Les cheveux

La curiosité n’est pas le problème derrière ce fléau, mais bien les préjugés qui l’accompagnent. Les cheveux sont très importants dans la culture noire, les styles remontent à des siècles bien avant la traite d’esclaves et nous ont été transmis par nos mères, grand-mères, arrière-grand-mères et arrière-arrière-arrière-arrière-grand-mères. Ils sont l’un des seuls héritages tangibles que nous avons de notre histoire pré-esclavage. Il faut aussi noter que ça a pris des années avant de réclamer la beauté naturelle que nos cheveux crépus ont. Donc, à chaque fois que tu passes tes mains dans nos cheveux sans demander la permission, que tu les réduis à l’état d’une matière première : tu renforces le stéréotype de l’autre. Tu renforces l’idée que la culture dominante est désirable et que nos cheveux sont semblables à du coton, qu’ils sont spéciaux (lire «bizarre»). Beaucoup de femmes noires considèrent leurs cheveux comme une réflexion de leur personnalité, une partie intégrante de leur identité, donc quand quelqu’un empiète sur cette partie de soi sans consentement, ça peut être carrément insultant.

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Le Québec et ses Québécois

Je pourrais aussi t’expliquer pourquoi tu ne devrais pas demander à une personne noire plus pâle s’il a un parent québécois [comprendre blanc] (tu effaces la pluralité de l’expérience noire) ou pourquoi tu ne devrais pas dire à une personne «Oh! Comment elle est bien articulée» (tu induis que les noirs ne parlent pas bien en général). Par contre, je voudrais t’expliquer pourquoi il est problématique d’utiliser le terme «québécois de souche/pure laine» et pourquoi tu ne devrais jamais demander à une personne racisée d’où elle vient vraiment.

Les Québécois de souche n’existent pas. Le Québec a été fondé, en 1608, par des marins, Samuel de Champlain à leur tête. Ils étaient 28, peu d’entre eux ont survécu au rude hiver, mais les Iroquois ont été là pour sauver quelques-uns d’entre eux. Environ un siècle plus tard, vu le faible taux d’immigration, l’intendant Jean Talon a dû faire appel aux Filles du Roy pour marier les agriculteurs et peupler le territoire. Une cinquantaine d’année plus tard, les Anglais ont pris le contrôle de la Province of Québec et ont emmené avec eux des colons britanniques. À la fin de la Révolution Américaine en 1783, les loyalistes se sont installés dans les Cantons-de-l’Est. Durant la grande famine en Irlande, des bateaux remplies d’Irlandais ont vogué jusqu’ici pour chercher refuge. Dans les années 1960, la diaspora haïtienne a atterri au Québec pour fuir la dictature et en ont profité pour enseigner dans les universités et aider à la fondation de certaines facultés de l’UQÀM. Donc, devant cette historique d’immigration, nous devons nous demander «qui sont réellement les québécois de souche?» L’histoire québécoise est riche, variée et loin d’être monolithe. En utilisant ce terme absurde, tu marginalises des groupes de personnes et tu les exclues de la société qu’ils ont aidé à construire. Le Québec, d’aujourd’hui, n’est pas blanc : il a des teintes de bruns, de noires, de blancs et de basanés. La seconde qu’une personne arrive au Québec, qu’elle a un code postal commençant par le « G, » le « H » ou le « J » ou qu’elle paye des taxes, elle est québécoise à part entière. Les immigrants de deuxième, de troisième ou de quatrième génération n’existent pas : c’est une micro-agression que l’on utilise pour faire croire aux personnes racisées qu’elles ne seront jamais vraiment «québécoises» parce qu’elles ne sont pas blanches.

Je ne crois même pas que je dois mentionner que le Québec a été bâti sur une terre ancestrale, volée et non-cédée. Aujourd’hui, je te demande de t’asseoir, de tendre l’oreille et de reconnaître qu’il y a un éléphant dans la pièce et qu’on ne peut plus l’ignorer.

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