« Ma vie commence dans un costume de servante ».

Enfant, il aimait revêtir la jupe brune de sa mère. La nuit, il enfonçait ses deux mains dans la cendre du foyer et s’en tachait les joues. Son père, le trouvant là, le visage taché de suie et endormi dans la jupe comme un haillon, le ramenait dans son lit sans poser de question. Il ne s’inquiétait jamais pour lui. Sa mère savait qu’il aimait porter des jupes et être soumis. Elle pouvait accepter le premier constat et s’efforçait d’oublier le second. Elle ne proposait jamais de jeux plus joyeux.

Crédit: Maryse Boyce

Antoine Charbonneau-Demers livre le récit de sa personne en libre-service, de sa personne « à tout le monde ». Quand on appartient à tout le monde, est-ce qu’on s’appartient à soi?

La performance théâtrale du jeune artiste se déploie en 13 chapitres sous la forme d’un thriller psychologique. S’il y a une chose qu’Antoine Charbonneau-Demers maîtrise, à défaut d’avoir le contrôle sur son serviteur, c’est ce qui se passe sur scène. Tout du texte et de l’interprétation est manipulé avec précision et naturel.

Mon serviteur est une performance dont l’humour indéniable n’a d’égal que sa profondeur. Naviguant entre sérieux et absurdité, le texte fort est rehaussé par l’usage d’un grand écran. Ce dernier permet d’introduire à l’espace scénique plusieurs références à la culture populaire et de les faire s’entrechoquer. Ainsi, le public passe de Cendrillon dansant dans ses souliers de verres avec son prince à Kim Kardashian entretenant une conversation sur le mariage.

Crédit: Maryse Boyce

Annie Ernaux parle de la place du réel dans l’écriture sur les visages expressifs des Real Housewives. Le clash est jouissif.

Antoine Charbonneau-Demers met au jour la perversité des jeux de pouvoir, mais aussi leur potentiel jubilatoire. Il remet en question la fine ligne entre soumission et domination : qui décide des limites? Le dominant ou le soumis? Ce dernier est-il forcément passif? Les deux n’auraient-ils pas de l’agentivité au sein d’une même relation, si les règles du jeu sont claires pour tous.tes? Reprendre le contrôle de sa vie, lorsqu’on est soumis, est-ce forcément de devenir dominant? Ce récit de soi ancré dans son époque pose la question.

Crédit: Maryse Boyce

Antoine Charbonneau-Demers est diplômé du Conservatoire d’art dramatique de Montréal et écrivain. Son spectacle, coprésenté avec le Festival international de la littérature, prendra vie à La Chapelle | Scènes contemporaines jusqu’au 27 septembre prochain.

Image de couverture de Maryse Boyce
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