Je vais te raconter mon plus beau voyage. Attention, il ne sera pas question ici de plage idyllique ou d’exotisme du genre se prendre en égoportrait en mangeant une tarentule frite trempée dans le chocolat dans un marché en Asie. Non, ici tu vas lire sur mon expérience d’un pèlerinage spirituel en Europe. Tu vas lire sur mon expérience du chemin vers Saint-Jacques de Compostelle. Je sais, tu ne t’attendais pas à ça.

La première fois que j’ai lu sur Compostelle, c’était dans la revue GEO, en 2003. Très peu de Québécois connaissaient ça, à l’époque. C’est un pèlerinage millénaire, à l’origine religieux, mais aujourd’hui plus spirituel ou sportif. En empruntant un des chemins principaux en Europe, les pèlerins marchent jusqu’à Santiago de Compostela, en Espagne. Certains ne font que le chemin espagnol, soit le Camino francés (totalisant 803 km), alors que les Québécois, tant qu’à être là, font généralement deux chemins : un des quatre principaux en France + le Camino francés, pour un beau total de plus de 1 500 km. À pied. Jour après jour, qu’il pleuve ou qu’il neige. Ça fait qu’en lisant là-dessus en 2003, je me suis dit « Hey ! Un jour, je le ferai. ». Les années passent et, en 2006, je fais une dépression sans trop le comprendre et alors que j’accumule les attaques de panique et que j’ai juste envie de disparaître, l’idée me revient à l’esprit. Trois mois plus tard, je partais pour l’aventure qui allait changer ma vie (et me la sauver). J’avais 22 ans. C’était en 2006. Tsé quand les téléphones intelligents n’existaient pas et qu’on utilisait MSN Messenger? J’ai traîné des guide-papiers super lourds pour savoir où m’arrêter dormir, utilisé des cabines téléphoniques, pour réserver mes refuges et des cybercafés pour écrire à mon monde moyennant quelques euros pour 20 minutes d’un internet très lent. Aujourd’hui, tout ça se fait à partir d’un cellulaire tout léger. Le poids des choses prend une tout autre dimension quand tu marches jusqu’à 40 km par jour, jour après jour, avec ton sac sur le dos.

homme marche cheminSource image : Unsplash

Je suis partie avec pour objectif de marcher deux parties du chemin, au départ du Puy-en-Velay en France jusqu’au bout, bien évidemment. Est-ce que j’étais assez préparée? Non. Mais on ne décide pas tout à fait quand faire le chemin, on le fait quand on a besoin de le faire. Marcher pendant plus de 60 jours pour me rendre jusqu’à une cathédrale en Espagne, avoir mal, avoir froid ou avoir trop chaud, endurer les douches froides et les ronflements des pèlerins dans les dortoirs. Tout cela pour recevoir un certificat prouvant que j’ai au moins marché les 100 derniers kilomètres ? Ben oui. Mais c’est tellement plus que ça.

Sur le chemin de Compostelle, on n’a pas le choix de vivre l’instant présent. Tu te soucies surtout de ton alimentation, de trouver de l’eau sur la route et d’où dormir. Quand ça c’est réglé, il reste toute la journée pour réfléchir à pourquoi tu es là, à pourquoi tu marches. Et avec le temps, les réponses viennent d’elles-mêmes.

Sur le chemin, on apprend l’humilité et le lâcher-prise. Quand tu souffres d’une tendinite, le grand mal des pèlerins, il faut que tu t’arrêtes une journée ou deux pour te soigner. Si tu es trop orgueilleux pour admettre que ton corps est pu capable, peut-être que tu ne pourras pas te rendre jusqu’au bout, et ça, ça serait pire encore pour ton amour-propre. Mais s’arrêter veut aussi dire perdre tous les gens que tu as rencontrés et avec qui tu marches depuis quelques jours, parce qu’eux, ils vont continuer de marcher. Ils ne t’attendront pas. Alors tu fais des adieux, souvent. Et le lendemain, quand tu recommences à marcher, tu rencontres d’autres pèlerins. Des pèlerins de partout dans le monde et avec qui tu vivras des moments inoubliables, à qui tu te confieras comme si tu les connaissais depuis toujours parce que vous marchez dans la même direction, jour après jour, et juste ça suffit pour que le respect, l’écoute et l’entraide aillent de soi.

Les jours où tu seras épuisé, quelque chose d’immensément beau se présentera à toi et ça te poussera à continuer. Les jours où tu auras mal, un pèlerin t’aidera à soigner tes plaies. Les jours où tu seras déprimé, il y aura un pèlerin pour te faire sourire. Les jours où tu voudras abandonner, tu verras le plus beau lever de soleil de ta vie. Il y a cette énergie sur le chemin, une énergie que j’ai sentie nulle part ailleurs dans le monde, qui fait briller les yeux et sourire l’âme. Des milliers de pèlerins marchent en suivant les mêmes flèches chaque année, depuis des millénaires. C’est ça qui fait la force du chemin.

affiche Balise bleuSource photo : Mireille Poulin 

Bien sûr il y a les villes et villages rencontrés, les monuments historiques, les cathédrales époustouflantes, les montagnes traversées, la route linéaire à perte de vue, les champs de blé, les ponts datant d’une autre époque, et la bouffe, et le vin ! Puis un jour, t’arrives à Santiago de Compostela, et c’est terminé. Sur le parvis de la cathédrale, plusieurs groupes de pèlerins restent assis là pendant des heures. Tu vas dire adieu, tu vas pleurer, tu vas être fier de toi, tellement fier! À l’intérieur de la cathédrale, le célèbre encensoir va valser d’un bout à l’autre de l’église puis tu vas avoir peur qu’il se brise tellement c’est incroyable. Si tu as le courage, tu vas pousser encore et marcher quatre jours de plus pour te rendre jusqu’au Cap Finisterre, là où, au Moyenge, les pèlerins allaient brûler leurs vêtements en guise d’offrande. Tu vas rester quelques jours au bord de la mer pour te reposer, pour recharger tes batteries. Et à partir de là, il n’y aura plus de flèche pour te guider. À partir de là, tu devras trouver toi-même ta route. Mais tu garderas toujours Compostelle en toi, et les réponses qui se seront révélées à toi tout au long du chemin, elles seront là, jamais bien loin au fond de toi.

J’ai marché 1 625 km pendant plus de 60 jours. J’ai eu mal à une hanche au point de ne plus être capable de lever mon pied. J’ai dû dire adieu, j’ai dû lâcher-prise et écouter mon corps. J’ai rencontré des gens extraordinaires, de tout âge et avec qui je suis encore en contact aujourd’hui. J’ai pleuré, j’ai ri, j’ai aimé. Ça, c’est le plus beau voyage de ma vie.

J’ai tellement aimé ça que je l’ai refait en 2011 ! J’avais cru avoir oublié quelques réponses en chemin…

carte chemin de Jacques Source image : Wikipedia
Source image de couverture : Unsplash
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