Je passe tous mes étés dans un camp de jour depuis maintenant six ans. Étrangement, en tant qu’animatrice, cela me semble être encore plus spécial que lorsque j’étais enfant. Je redoute le moment où je devrai entrer dans la vraie vie adulte ; le moment où mon métier ne prendra pas fin en juin pour laisser place à deux mois d’activités à l’extérieur.
Cet été où je ne travaillerai pas 40 heures par semaine avec des jeunes à inventer des jeux. Celui où je ne passerai pas mes dimanches soirs à me créer des costumes loufoques pour que mes jeunes embarquent avec moi dans la thématique. L’été où je n’aurai pas à faire croire que ce n’est pas la cinquantième fois que nous jouons au même jeu, simplement en l’appelant différemment. Celui où je ne chanterai pas à tue-tête que je m’en vais chasser le lion. L’été où Moka sera ma commande dans le petit café du coin et pas le nom pour m’interpeller. L’été n’est même pas terminé que j’appréhende déjà celui où, bien malgré moi, tout va changer.
Être animateur, on va se le dire, ce n’est pas fait pour tout le monde.
Certains n’ont pas la patience d’expliquer 14 fois le même jeu de manière différente, dans deux langues, pour être sûr que tout le monde comprend les règlements. D’autres, n’ont pas l’imagination pour inventer des histoires farfelues entre deux bouchées de sandwich au jambon. D’autres encore, n’ont pas la twist pour gérer avec les mille et une questions des 5-6 ans, les porte-paniers de 7-8 ans qui rapportent tous (TOUS) les faits et gestes de leur voisine de gauche, les rabat-joie de 9-10 ans qui ne veulent jouer à rien ou l’attitude de préadolescence des 11-12 ans.
Source de l'image : Pexels
Être animateur c’est d’avoir un cœur d’enfant et d’en être fier.
C’est de savoir lâcher son fou et de ne pas avoir peur du ridicule (même quand tu te fais dévisager dans l’épicerie, ayant oublié que tes enfants t’ont peinturé le visage multicolore en après-midi). Être animateur, c’est d’avoir une grande famille pour tout l’été et de développer des amitiés qui perdurent. Être animateur, c’est de terminer l’été, brûlé après avoir passé 320 heures à tout donner pour voir s’illuminer des petits visages émerveillés… Et presque tout autant d’heures à fêter avec tes collègues autour d’un feu après les grosses journées. C'est de pleurer en quittant le terrain de jeu, même si la veille tu disais que tu étais tannée, parce que dans le fond ça va bin gros te manquer.
Être animateur ça fait grandir.
C'est un emploi de rêve : à passer nos étés dehors, à travailler de 8h à 4h (pas de soirs pas de fin de semaine) et à se raconter les potins du party de la fin de semaine passée (on va se le dire, entre animateurs il pleut des rumeurs). Mais c'est aussi un emploi qui nous fait grandir en tant que personne. Du haut de nos 16 ans, nous sommes responsables de la sécurité d'enfants qui parfois, n'ont même pas été à l'école. Nous sommes ceux qui leur montrent l'exemple. Ceux qui leur donnent des leçons de vie quand ils font un mauvais choix. Ceux qui les écoutent et les conseillent parce que ça ne fait pas si longtemps qu'on est passés par là.
C'est un emploi qui aide à apprendre à se connaître et qui fait accroître sa confiance en soi. Laissez-moi vous dire que ce n'est pas tout le monde qui aurait le courage de chanter thumbs up devant 350 enfants ou de faire semblant d'être dans un écrasement d'avion (en carton) devant 49 autres animateurs.
Être en animation, c'est comme entrer dans une secte.
Ton monde au complet tourne autour de ton emploi pendant huit belles semaines. Au début de l'été, tu rencontres des personnes incroyables qui deviendront tes alliés. L'équipe devient comme une famille ; on travaille ensemble, on soupe ensemble, on sort ensemble, on boit ensemble. Cela brise malheureusement, mais inévitablement, des couples de l'extérieur et en crée parmi l'équipe, bien que souvent éphémères.
Source de l'image : Pexels
C'est un petit monde saisonnier où tous se comprennent : la crainte du code mauve (les poux), l'exaspération des enfants qui prennent 8 ans à se changer en maillot de bain ou qui perdent absolument tout, le sentiment de compétition pour gagner des sacs de bonbons.
La plupart diront que c'est leur dernier été pendant des années avant d'être réellement capables de partir.
La nostalgie m'emplit déjà le cœur rien que d'y penser.
Lorsque sera le temps pour moi d’accrocher mon chandail d’animatrice, je m’ennuierai de tous ces moments inoubliables et de cet emploi hors du commun.
Je sais toutefois qu’une partie de moi restera à jamais Moka.