Depuis fin octobre 2022, l’épuisement est devenu mon quotidien. Celui qu'aucune nuit complète ne suffit à soulager. Un épuisement si violent qu’il me vole du temps précieux avec mon fils, ma famille, mes amies.
Je me souviens particulièrement d’un moment où j'étais allongée sur notre sofa, seule dans le salon avec mon garçon de presque 3 ans. À chaque inspiration, je sentais mon esprit qui se détachait et s’éloignait contre ma volonté. Ce n’était pas un doux glissement vers le sommeil, mais une chute brutale, imposée par mon propre corps. Une trahison immense. Je perdais conscience. Coupée de tout. Coupée de lui.
« Il est seul. Il n’a pas l’âge pour être seul. » Pensai-je en quittant la réalité.
Mon amour pour lui était intact, immense, primitif. Mais ma volonté ne suffisait pas. Mon corps s'effondrait, insensible à ma lutte. Pourtant, mes responsabilités de mère demeuraient. Mon désir d'être la meilleure maman possible aussi. Comment empêcher la culpabilité de faire son nid, de prendre toujours plus de place dans mon esprit? Comment ne pas la laisser contaminer ma santé mentale déjà fragilisée par des mois et des mois d'incapacité?
Sa voix d’enfant me ramène à lui. Douce. Inquiète. Je rouvre les yeux un instant. Juste assez pour sentir la chaleur de sa doudou sur mes épaules, ses petites mains qui effleurent ma peau, un bec furtif sur ma joue. Puis, déjà, je repars, bien loin de lui.
Il m’appelle de nouveau. Combien de temps s’est-il écoulé ? Je n'en ai aucune idée.
« Maman… maman… maman ! » Sa voix monte dans les aigus. Une main minuscule secoue mon bras. Mes paupières sont des enclumes. Mon corps, un navire qui coule.
Mais je résiste. Je perçois l'urgence dans sa voix. Je me force à ouvrir les yeux. Il me regarde, fâché. Il en a assez d'être seul. Il veut ma présence. Mais comment lui donner ce dont il a besoin quand je ne suis qu’un corps terrassé par l’épuisement, toujours en quête de sommeil, encore et encore, complètement absente ?
Je lutte contre mon propre corps pour arracher cette force qui se cache, qui résiste, juste assez pour garder les yeux ouverts, me lever et prendre mon fils dans mes bras. Une seule pensée m'obsède : le mettre en sécurité, tant que je le peux.
Je monte à l’étage. Je m'excuse. Lui explique que maman doit dormir, qu'il devra jouer seul ou faire sa sieste, et que je reviendrai bientôt. Son innocence et mon impuissance se heurtent. Mon cœur se serre.
Je titube jusqu’à mon lit. M'écroule de tout mon long. Je perds conscience. Je tombe, toujours plus creux. Par moment, j'entends des pleurs au loin. Impossible de m'en approcher.
Je continue de couler alors que tout mon être hurle :
« Je dois revenir! Par pitié, s’il vous plaît, qu’on vienne m’aider…»
L'impuissance face à la maladie
Avec la Covid longue, l'impuissance est omniprésente. Notre corps et notre esprit ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes. Nous perdons complètement le contrôle : les symptômes dictent notre quotidien, déterminant ce que nous pouvons faire… et surtout ce que nous ne pouvons plus faire.
Pour de nombreux parents, stabiliser les symptômes est une mission impossible. Nos enfants passent avant tout. Leurs besoins, leurs émotions, leur sécurité… Chaque geste du quotidien exige une énergie dont nous ne mesurions même pas l'importance avant la maladie.
Et ce n'est que pour eux. Nous ne parlons même pas des tâches essentielles : se laver, manger, brosser ses dents. Sans oublier l'entretien de la maison : ménage, lessive, rangement. Ou encore nos relations sociales, notre travail, nos finances… Tout devient un défi.
Être parent avec la Covid longue, c'est accepter que chaque jour est une boîte à surprises. Chaque activité peut avoir des répercussions jusqu'à 72h plus tard, ce qui rend la gestion des symptômes complexe. Dans un monde idéal, une routine stricte et qui anticipe les besoins de repos serait la meilleure approche pour gérer la Covid longue. Mais pour un parent, surtout avec de jeunes enfants, cette stabilité est hors de portée.
Le déclencheur d'une rechute peut rester invisible pendant des jours avant de frapper de plein fouet. Ce contrecoup, appelé Malaise Post-Effort (MPE) ou plus simplement Crash, peut nous handicaper encore plus sévèrement, parfois pendant des semaines, voire des mois.
Ces MPE ont profondément marqué mon expérience de la maladie, me rappelant sans cesse que rien n'est acquis, que tout peut basculer à tout moment. J'ai connu des rechutes qui ont duré des mois avant de retrouver, à peine, un semblant de mes capacités. D'autres fois, j'ai été cloué au lit pendant plusieurs jours, manquant des événements importants, des moments qui me tenaient à cœur.
Apprendre à avancer autrement
À un moment donné, j'ai cessé de me battre contre l'inévitable. J'ai fini par accepter ma nouvelle réalité, tout en refusant de m'y perdre et qu'elle définisse mon identité. J'ai appris à avancer autrement. Mais ça m'a pris du temps… et surtout, beaucoup de bienveillance envers moi-même.
J’ai compris que, pour rester en vie, je devais cultiver la résilience à chaque instant. Apprendre à reconnaître chaque petite fleur du printemps qui tente d’éclore dans le jardin de mon cœur.

Cela passe par chaque sourire de mon fils, chaque geste attentionné de mon conjoint, chaque moment où je savoure le soleil sur mon visage ou la chaleur d'un café entre mes mains.
Il faut regarder, respirer, cultiver ces fleurs. Trouver de la force dans ces petits instants du quotidien. C'est ce qui nous permet de traverser les tempêtes.
Je suis de tout cœur avec chaque parent qui partage cette réalité. Je n’ai fait qu’effleurer les défis que nous affrontons chaque jour, mais j'espère que vous vous êtes reconnus. Que vous avez senti tout l'amour et le respect que j'ai pour vous !
Si cette journée ressemble à une nuit pour vous, je vous invite à trouver une fleur. Aussi minuscule soit-elle.
Image de couverture de Maeghan Smulders